L’Italie veut installer une base militaire au Niger pour contrer la France
De Rome, Mourad Rouighi – Décidément, la guerre diplomatique entre la France et l’Italie fait rage et va bien au-delà des frontières de la Libye. De fait, les regards de Rome se dirigent de plus en plus vers le Sahel et particulièrement vers le Niger, là où, selon le nouveau cours italien, bat le cœur du phénomène de l’immigration et d’où le grand zoom européen pour cette région.
Mais ce regain d’intérêt, qui ne plaira sans doute pas à Paris, a une genèse qui remonte à quelques semaines, plus précisément à la visite du président du Conseil, Giuseppe Conte à Washington, durant laquelle le président américain, Donald Trump, multiplia les gages de sympathie envers son hôte, le hissant pratiquement au rang de nouveau partenaire clé pour les dossiers libyen et sahélien.
Or, jusqu’ici, l’Italie a toujours été considérée comme étant une puissance marginale pour tout ce qui a trait au Niger. La France, en revanche, tant par son passé colonial que pour ses soldats en place dans le cadre de l’opération Barkhane, a toujours eu le plein contrôle de la situation.
Mais les choses, au lendemain de cette visite, sont en train de changer et vite ; les Européens sont d’avis désormais que pour endiguer le flot de migrants et de trafics divers, ils se doivent impérativement de sécuriser le Niger, et Rome est décidée à y contribuer de manière importante.
Paris a, certes, sollicité plusieurs fois Washington de lui fournir du renfort en hommes et moyens, mais sur une éventuelle mission italienne, le Quai d’Orsay a toujours opposé une fin de non-recevoir. Le président Macron préférant de loin, le «moindre mal» britannique à ce qui est perçu comme une interférence de la part de la diplomatie italienne.
Mais voilà, au gré d’un voyage à Washington, tout semble évoluer vers une redistribution des cartes, des rôles, voire des influences. C’est qu’à Rome les experts définissent les contours de la stratégie à mener à bien pour ce pays, selon des lignes directrices se résumant à une idée assez précise : dans la lutte contre l’immigration illégale, la bonne entente avec Tripoli c’est bien, la coopération en plus avec Niamey c’est mieux…
Et, à cet effet, la ministre de la Défense, Elisabetta Trenta, l’a clairement annoncé la semaine dernière devant la Chambre haute : «Cette mission au Niger est très importante et, dès que nous aurons le feu vert du gouvernement, nous doterons nos forces de moyens logistiques à même d’assurer une présence substantielle dans ce pays, qui nous permettra de lutter efficacement contre la traite des migrants»
Un argumentaire appuyé par nombre d’analystes italiens qui estiment que c’est le Niger le véritable flanc sud de l’Otan, la frontière sud des intérêts européens, dans ce que l’on désigne par la formule de Méditerranée élargie, cette vaste zone géopolitique sur laquelle Rome s’apprête à exercer un rôle de supervision, en étroite collaboration avec les Etats-Unis, comme cela a été confirmé par le Premier ministre italien à sa sortie de la Maison-Blanche.
«Le lancement de la mission italienne au Niger, nous dit un diplomate chargé du dossier, nous fera récupérer, et très vite, le temps perdu et marquera la volonté mainte fois affichée du cabinet de Conte de contrecarrer les desseins d’Emmanuel Macron en Afrique du Nord et dans le Sahel». Mais, poursuit-il : «Il est clair que c’est surtout la bénédiction de Washington, pour ce nouveau rôle dans la région, qui donnera un souffle nouveau à cette mission.»
Par ailleurs, et de source sûre, les soldats de la Mission bilatérale de soutien à la République du Niger (Misin), emmenés par le général de brigade Antonio Maggi, vont dans les prochains jours recevoir du renfort, tant en hommes qu’en matériel. Et l’on parle de plus en plus d’une véritable base militaire italienne, probablement non loin de la frontière libyenne puisque, jusqu’à ce jour, les forces italiennes sont stationnées à Agadez, à l’intérieur de la base américaine.
Et en attendant, l’Italie multiplie les initiatives de bonne sollicitude envers le gouvernement nigérien, notamment par ce que l’on désigne à Rome comme une diplomatie d’aide humanitaire. En effet, entre le mois d’avril de cette année et le début de ce mois, plusieurs avions ont acheminé vers ce pays de l’aide médicale, et particulièrement celle en urgence, pour parer à l’épidémie de choléra qui frappe certaines régions mais également du matériel dernier cri pour la dépuration des eaux, mis gracieusement à la disposition des autorités de Niamey.
Point de doute, la pénétration dans les sentiers nigériens et du Sahel passe aussi à travers ce type d’accords, qui vont bien au-delà de leur portée humanitaire. Mais une chose est sûre, l’Italie est aujourd’hui décidée à agir, ce qui ne semble pas être du goût de Paris, qui, avec ses 4 000 soldats de la base de Barkhane, est habituée à considérer le Sahel sa chasse gardée.
Pourtant, les choses changent et des rumeurs insistantes courent qu’Emmanuel Macron n’a plus autant la cote à Washington. Donald Trump aurait décidé de redistribuer les cartes de la région parmi ses alliés au profit du nouveau cours politique italien, partageant, nous dit-on, davantage son approche «musclée» vis-à-vis des migrants.
M. R.
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