Contribution – Sit-in de Mouwatana : un pétard mouillé de plus
Par Youcef Benzatat – Mouwatana met la charrue avant les bœufs en voulant faire des marches et des sit-in de contestation contre le 5e mandat dans la situation politique actuelle.
Le sit-in de ce dimanche 12 août, qui s’est déroulé à Alger dans l’objectif de sensibiliser les passants et d’attirer l’attention des médiats sur cette démarche, malgré l’interdiction de toute marche ou sit-in dans la capitale, bien que cette interdiction soit elle-même illégale, est, certes, en soi une action de contestation politique nécessaire. Si la motivation première annoncée était l’opposition au 5e mandat, le fait que son objectif soit de transgresser cet interdit en fait d’elle une véritable action politique de contestation de l’ordre établi. De plus, une action d’une telle symbolique dans la conjoncture actuelle, caractérisée par une rupture et un rejet du pouvoir, ne devrait pas laisser indifférents les passants qui déambulaient aux alentours et provoquer l’adhésion généralisée de l’opinion nationale, pour venir la soutenir en la transformant d’une simple manifestation partisane en une véritable action populaire de contestation politique. La question de savoir qui en est l’organisateur devrait être sans importance devant sa puissance symbolique.
Dans la conjoncture actuelle, le pouvoir sait qu’une marche ou un sit-in sur Alger pourrait se transformer en émeute avec le risque de se propager à tout le territoire national. C’est, d’ailleurs, pour éviter ce danger que cette interdiction a été décrétée et qu’une répression brutale et menaçante accompagne chaque tentative de sa transgression, comme face au sit-in de ce dimanche. Il est surtout averti que tôt ou tard un embrasement se produira. Il affiche tellement avec cynisme sa confiscation des libertés politiques dans un environnement de corruption généralisée et d’immobilisme économique, alors qu’en face la précarité sociale se creuse chaque jour un peu plus dans un environnement institutionnel de plus en plus déliquescent, que cet embrasement devient inévitable. Dans ces conditions, celui-ci n’a d’autre choix que la fuite en avant. Interdiction et répression restent les seuls atouts qu’il peut faire valoir pour préserver sa domination sur la société et continuer à jouir de la rente comme un bien privé.
Le pouvoir et son opposition structurelle sont allés tellement loin dans leur implication dans le détournement de la rente qu’il n’est plus envisageable pour eux de contribuer à une transition vers un Etat de droit, synonyme de justice indépendante et d’ouverture d’enquêtes tous azimuts sur les fortunes mal acquises. Pour ces raisons, toute tentative de manifestation qui viendrait les menacer sera brutalement et violemment réprimée. Renforçant ainsi l’Etat policier et accentuant la restriction des libertés publiques.
C’est dans cette perspective que le sit-in de Mouwatana apparaît d’emblée comme un pétard mouillé de plus, après les différentes tentatives qui l’ont précédé, telles que celles de Barakat et la CNCD, qui n’avaient aucune assise populaire pour venir les soutenir et s’approprier leur cause.
Seul un contre-pouvoir issu d’une alliance des forces progressistes et démocratiques en rupture avec les processus institutionnels existants, personnalités indépendantes, intellectuels résolus, société civile et partis politiques marginalisés seront en mesure de gagner la confiance du peuple et de canaliser sa colère qui se dessine en perspective pour pouvoir négocier avec le pouvoir une transition pacifique sous l’impératif de la préservation de notre souveraineté nationale et l’atténuation de la souffrance du peuple.
Un contre-pouvoir dont l’émanation viendrait du peuple, guidé par une élite éclairée et dotée d’un projet de société irréfutable – qui s’imposerait de lui-même par la force de sa crédibilité et la pression conséquente qu’exercerait le soutien du peuple – est à même de pouvoir résister à la répression pour mener à bout la transition démocratique.
C’est à ce prix que l’on peut envisager l’émergence d’un consensus national solidaire avec cette dynamique où toutes les parties concernées par cette nécessaire transition viendraient verser leur contribution dans le débat, y compris les forces de sécurité et l’ANP, et toute la société civile engagée dans ce processus. La pertinence de cette idée de contre-pouvoir me semble résider dans le fait qu’elle soit à coup sûr mobilisatrice du fait de sa neutralité par rapport aux différentes associations politiques déjà existantes et qui sont lourdement rejetées par la population.
Enfin, un soulèvement spontané du peuple, ou encadré et même orienté, sans constitution au préalable d’un tel contre-pouvoir avec un projet de société crédible, transformerait notre pays en charogne pour assouvir l’appétit de tous ceux qui nous «veulent du bien». Aussi, un consensus national initié par un parti comme le FFS, par un conclave comme Mouwatana, est voué systématiquement à l’échec et ne mobiliserait que ses partisans immédiats pour toutes raisons justifiées ou non.
A présent que le fond du débat s’est nettement décanté, je relève un point essentiel qu’il faudra discuter avec méthode et raison. De quoi parle-t-on, en fait, lorsque l’on convoque le concept de transition ? La transition est un concept philosophique qui ne peut être expliqué à des passants hâtivement et sommairement sur la place publique par un conclave en sit-in, surtout dans le contexte qui nous préoccupe : la crise politique algérienne aujourd’hui. Lorsque l’on convoque ce concept dans notre situation, il est de mon point de vue nécessaire et utile de l’envisager sur un plan structurel et non pas seulement conjoncturel. Nous sommes soumis depuis l’indépendance à un régime autoritaire qui se nourrit des structures mentales patriarcales de ses membres. Notre société, qui est elle-même aliénée dans ces mêmes structures mentales patriarcales, a facilité le fait que l’autoritarisme se dissolve dans tous les interstices de la société et aggravé le reflux vers une conscience pré-politique.
Le clanisme, le népotisme, les passe-droits, le clientélisme, la corruption sont des éléments structurants de ces structures mentales patriarcales. Cet état de fait prédispose également la société à refluer vers le mythe religieux et l’appartenance ethnique. C’est pourquoi les berbéristes et les islamistes se radicalisent de plus en plus. Comme on peut le constater, la société elle-même a intériorisé ces comportements et les a normalisés. Par conséquence, les principaux acteurs de cet autoritarisme sont incapables de mesurer la gravité du dépassement des lignes rouges de la morale politique, au point de considérer la privatisation de la rente comme un droit et non un privilège mal acquis. Autrement, ils se considèrent dans leur rôle de se servir des biens publics et d’empêcher que la justice puisse faire entrave à leur comportement, comme la répression de toute voix discordante qui viendrait menacer cet ordre, y compris pour toute tentative d’émancipation de l’école et de l’enseignement de l’histoire.
Alors, si l’on veut parler de transition, il faudra au préalable l’envisager sur le plan structurel et non pas seulement sur le plan conjoncturel. Il s’agit, en fait, de faire passer la société d’une conscience pré-politique à un état de contemporanéité du monde, avec tout ce que cela implique comme libertés.
Cela dit, je suis profondément pessimiste devant la solution que préconisent ces conclaves de circonstance. C’est plutôt à travers l’avènement d’agents de sensibilisation et d’explication, composés d’hommes et de femmes éclairés et engagés, qui seront disséminés dans tous les quartiers de nos villes et villages, et qui exploiteront en même temps les potentialités des réseaux sociaux sans discontinuer, qu’un tel contrepouvoir puisse voir le jour et pouvoir venir à bout de l’autoritarisme qui prend en otage notre destin.
Y. B.
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