Rituel décalé
Par Akram Chorfi – Une fête de chez nous n’est pas un rituel du gaspillage et de la dépense ruineuse. C’est du moins ainsi qu’elle a été conçue et qu’elle devrait se pratiquer, contrairement à la réalité qui est tout autre, le signe d’une dérive sociale où le consumérisme d’émulation l’emporte sur la retenue raisonnable des petites bourses.
On imagine bien le malaise que ressent actuellement le chef de famille qui, éprouvé certainement par les dépenses des vacances d’été, affronte les exigences de la fête du mouton, tout en continuant à penser au moment très contraignant de la rentrée scolaire qui imposera également son lot d’achats incompressibles, chaque année plus lourds financièrement que la fois précédente du fait de la dérive inflationniste.
Dès lors, revenir à l’esprit de fête tel qu’on est censé vivre celle-ci, avec ses élans de solidarité, son sens du partage, ses pensées altruistes envers ceux qui ne passeraient pas, sans notre générosité, un moment de joie familiale, serait un juste retour aux vraies valeurs et la reconnaissance d’une réalité qui semble aujourd’hui faire l’objet d’un déni, à savoir que la fête, sans le mouton, est malgré tout une fête car le sacrifice n’est nullement imposé à ceux qui n’ont pas les moyens de le pratiquer.
Comment comprendre alors ce qui est demandé, à savoir consommer un tiers, offrir un tiers à un proche et faire charité du dernier tiers ? Sinon comme l’acceptation du fait que seuls ceux qui peuvent se permettre le mouton de l’Aïd doivent consentir le sacrifice et partager le mouton avec autrui.
Et puis, comment accepter qu’une fête se transforme, le temps d’un sacrifice, en théâtre de pollution urbaine et d’insalubrité organisée au nom d’une pratique rituelle qui a ses espaces dédiés dans les abattoirs prévus à cet effet ?
En conclusion, et sans vouloir faire dans l’exégèse religieuse, il faut bien reconnaître que la réalité sociale de la pratique sacrificielle est en décalage avec l’esprit du rituel et même avec l’esprit de la fête, nos concitoyens et, néanmoins aussi coreligionnaires, tenant absolument à faire de la fête de l’Aïd El-Kebir une grande orgie de sang, de foin, de chair et de laine de mouton.
Bonne fête, tout de même.
A. C.
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