Contribution du Dr Arab Kennouche – Crise au sommet de l’Etat algérien
Par Dr Arab Kennouche – Alors que l’ensemble de l’élite politique algérienne, à quelques exceptions près, réclame un énième mandat au Président sortant, synonyme de présidence à vie, le peuple assiste bouche bée à une valse des généraux sur fond d’affaires de corruption, comme s’il s’agissait d’un grand nettoyage avant la symphonie finale de la réélection d’Abdelaziz Bouteflika. Pourtant, en jetant un regard scrutateur sur l’ensemble des derniers événements politiques, on se rend compte que nous sommes définitivement entrés dans l’ère de la mort démocratique en Algérie. Et plusieurs signes cliniques indiquent déjà que nous sommes en plein cinquième mandat, avec toutes ses vicissitudes et ses risques de déflagration généralisée.
Il est évident que le bon sens voudrait que le Président ne se représente pas pour la simple et bonne raison que le chef de l’Etat est dans l’incapacité de diriger le pays. Tous ceux qui prétendent le contraire, ou qui feignent d’ignorer ce problème évident en se réfugiant derrière la loi constitutionnelle, par intérêt partisan, auront à répondre un jour de leur négligence ou de leur calcul égoïste. Il faut se rappeler, en effet, que l’Algérie n’a pas toujours su négocier de dangereux virages politiques depuis son indépendance. Il est même dans la culture politique du pays de prendre les choses à la légère, soit en jouant avec le feu, soit en faisant preuve d’une grande impéritie dans les décisions finales.
La leçon du passé
Ce fut le cas dans les années 90, où le pouvoir politique de l’époque, essentiellement la présidence de Chadli Bendjedid et le gouvernement de Mouloud Hamrouche, ont commis l’erreur fatale de légaliser le FIS de Belhadj et Madani, faisant de l’Algérie, en quelques mois, une proie idéale pour ses ennemis à l’affût. On accusa à tort l’ANP d’être mêlée à ce jeu et, finalement, nos apprentis-sorciers durent se résoudre à appeler l’armée républicaine voyant dans la précipitation qu’ils ne pouvaient plus éteindre le feu qu’ils avaient allumé malencontreusement. Il y a entre ce fameux épisode de l’histoire politique algérienne et la reconduction d’Abdelaziz Bouteflika pour un 5e mandat comme une fâcheuse coïncidence ; celle de la décision hasardeuse et de l’erreur fatale à ne pas commettre.
En effet, alors qu’on invoque fallacieusement le rôle interventionniste de l’Armée nationale populaire dans les affaires politiques de l’Etat, il faut se rappeler comme une constante nationale de l’histoire du pays, que ses interventions étaient l’ultime recours contre les dérives antinationalistes de l’Etat civil en cours, comme celui de Ben Bella en 1963, qui livrait des pans de souveraineté à l’Egypte, ou celui de Bendjedid en 1991, qui ne se rendit compte que bien tardivement des ramifications du FIS avec l’Arabie Saoudite et, partant, avec l’ensemble des puissances occidentales. Amateurisme, négligence, manque de profondeur d’analyse, l’Algérie ne s’en sortira qu’au prix d’une reprise en mains par le HCE (Haut comité de l’Etat) des affaires politiques du pays. L’armée avait donc redonné sa chance aux civils qui, déjà, avaient mis le feu au pays en se contentant de faux calculs politiciens, pleins d’assurance mais sans vision sécuritaire.
On a, ainsi, toujours fait le procès de l’ANP et c’est encore sur cette veine que le chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd-Salah, tenta récemment à son corps défendant d’éliminer tout soupçon d’ingérence anticonstitutionnelle, alors que rien ne prouve dans l’histoire récente de l’ANP que de telles velléités de prise de pouvoir aient été envisagées dans les pires moments d’instabilité du pays.
Le chef du MSP, Abderrazak Mokri, s’y est même trompé en voulant réitérer le modèle turc, d’une armée en porte-à-faux avec la société civile et pas toujours rangée derrière son président de la République. Mais Mokri n’a manifestement pas compris les leçons du passé, voulant couler l’ANP dans un moule qui n’a jamais été le sien. L’Algérie n’aime pas les Golpes d’Estado : ce qui a pu se produire ailleurs en Amérique latine n’a pas été de règle chez nous.
Un cinquième mandat, une erreur fatale ?
N’étant pas de nature interventionniste, l’ANP se doit néanmoins de ne pas répéter les erreurs du passé en laissant des civils faire n’importe quoi. Et c’est ce rôle qui lui sied le mieux, celui de mettre hors d’état de nuire un ensemble de civils qui, actuellement, pullulent au sein d’institutions régaliennes de l’Etat et qui, comme dans les années 90, ne savent pas vraiment ce qu’ils font dans la conduite des affaires du pays. Car, justement, c’est par souci de constitutionnalisme béat qu’à l’époque de Chadli, l’ANP, pourtant bien informée des dangers du FIS, avait laissé faire le pouvoir civil en tergiversant jusqu’à ce qu’il fût trop tard pour éviter la violence politique généralisée.
En effet, autre constante des rapports civil et militaire dans l’Algérie politique contemporaine, c’est bien cette attitude attentiste de l’ANP qui fait que l’action politique en Algérie se déploie toujours dans la réaction et presque jamais dans l’anticipation. C’est la critique que l’on pourrait retourner aux déclarations officielles du chef d’état-major de l’ANP qui, encore soucieux de la légalité institutionnelle, préfère justement ne pas voir les aberrations politiques actuelles comme celle d’un 5e mandat. Etrange coïncidence donc, à quelques décennies d’intervalle, entre des pouvoirs civils en situation de faillite et une armée légaliste jusqu’au bout, qui essaye avant tout de ne pas entacher sa réputation.
Quoi qu’il en soit, il faudra bien négocier ce virage en évitant de piéger l’Algérie et le président Abdelaziz Bouteflika lui-même dans un mandat sans fin. On ne voit pas, en effet, comment une telle configuration où corruption et déliquescence sociale prédominent, pourrait se perpétuer sans risque de déstabilisation. A l’époque du FIS, les bonnes consciences politiques étaient certaines qu’elles pouvaient contrôler cette mouvance violente en en faisant une marionnette. Ils durent revoir leur calcul et, finalement, s’en remettre à l’armée. Il se peut que la situation sociale et politique actuelle échappe au président de la République, malgré son bon vouloir et du fait, surtout, de cette multiplicité de centres de décision dits civils, mais notoirement incompétents, qui caractérisent l’Algérie du 4e mandat.
Il importe plus que jamais, donc, d’anticiper un dérapage non contrôlé de la situation actuelle, d’autant plus que le salafisme en Algérie s’est réinstallé sous de nouvelles appellations et de nouveaux modes d’action à la tunisienne, voulant également ne pas répéter ses propres erreurs de violence aveugle contre le peuple tout entier. Une fois de plus, le volet social, comme celui de la réactivité de l’ANP, sera crucial dans l’équation finale, sauf si celui-ci échappe totalement des mains du pouvoir et passe dans celui des islamistes.
A. K.
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