Choléra et politique
Par Akram Chorfi – Le choléra n’est pas la maladie des pauvres. C’est une maladie qui prolifère dans les milieux sales et insalubres. C’est la maladie de la misère, pour peu qu’on comprenne que la misère ne signifie nullement la pauvreté, mais l’ignorance, l’irresponsabilité, le laisser-aller conjugués à une colère que génère l’insatisfaction par rapport à sa condition sociale.
Qu’est-ce qui peut générer le choléra ? Tout comportement humain qui favorise un contact prolongé entre une substance insalubre, souillée par de la matière excrémentielle et des produits destinés à la consommation humaine.
On a parlé, des années durant, de maraîchers qui irriguent leurs cultures avec les eaux des égouts ou encore avec des eaux usées réhabilitées par un processus d’épuration. Si les premières eaux sont évidemment dangereuses et l’acte absolument criminel, les secondes ne peuvent servir qu’à l’arboriculture et l’acte d’irrigation maraîcher est donc tout aussi criminel.
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se contamine, et c’est ce qui est arrivé chez nous, en Algérie, locomotive de l’Afrique en matière de développement humain et social au XXe siècle.
La responsabilité du gouvernement est bien évidemment engagée. Qu’il s’agisse d’eau destinée à la consommation ou à l’irrigation, qu’il s’agisse de contrôle des produits agricoles avant leur sortie des champs de culture, des organismes et des institutions doivent adapter leurs modes de vigilance au comportement humain et aux conditions de production de l’eau et des produits agricoles.
Plus que cela, la responsabilité du gouvernement est engagée du point de vue du discours. N’est-il pas temps de reconduire la politique d’éducation des masses des années 70 pour réactualiser la formation citoyenne là où elle a été laissée ? Qu’est-ce qui empêche un agriculteur inconscient d’exploiter des eaux usées pour ses cultures quand, par ailleurs, il estime qu’elles ont été épurées et que les précautions et les réserves dont on lui a parlé sont excessives ?
Pour ce qui est du concept de courage politique avancé, à l’occasion, pour expliquer le choix, au demeurant réaliste, de communiquer sur la maladie en direction du grand public, il aurait fallu plutôt parler de responsabilité politique, sachant que la communication sur la maladie aurait pu se faire plus tôt pour empêcher les gens de se brasser en allant se rendre visite au second jour de l’Aïd.
Le courage politique, lui, consisterait à dire franchement aux Algériens – les coupables se reconnaîtront – dans quelles conditions d’insalubrité ils tiennent leurs villes et leurs quartiers, et à leur dire l’impossibilité d’assurer la salubrité publique avec des habitants qui jettent tout ce qu’ils consomment, à tout moment, et qui croient que la propreté s’arrête au seuil de leur porte.
Le courage politique consisterait à créer une police de l’environnement, à mettre à l’amende toute personne qui salit son milieu, tout commerçant qui ne veille pas à la propreté de sa devanture, tout automobiliste qui utilise un tuyau à même la rue pour laver sa voiture, etc.
Le courage politique consisterait dans un discours qui reconnaisse l’échec pour mieux envisager les solutions, qui fasse agir, au nom des lois de la République, sans calculs populistes, pour préserver les seuls intérêts du pays.
Les masses non gouvernées, non policées, auxquelles le politique suggère, par certaines attitudes et certaines décisions, qu’elles peuvent braconner dans l’impunité finissent, à force de concessions, par devenir un ennemi de l’intérieur, peut-être plus insidieux que l’ennemi de l’extérieur. Il faut qu’il y ait eu des états pires que le choléra pour générer le choléra, et l’homme est son propre jardinier du destin. A chaque fois, il ne récolte que ce qu’il a semé.
A. C.
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