Contribution – Au médecin qui a voulu faire des eaux usées une eau minérale
Par Aïssa Manseur* – C’est avec un grand étonnement que j’ai lu un article émanant d’un médecin et qui remet en cause toutes les thèses concernant la nocivité des eaux usées et les dangers encourus en cas de leur utilisation dans l’irrigation agricole et qui demande même d’être pendu si «on arrive à lui démontrer que les pastèques et les autres fruits puissent contenir pour la transmettre une quelconque maladie dans leur chair». Plus grave encore, il ajoute : «On arrose les arbres avec tout ce qu’on veut, à partir de n’importe quelle eau, aussi sale soit-elle, il n’en sera rien. Les plantes sont propres parce qu’elles ont appris à ne puiser que ce qui les rend plus fortes. Si ce qui coule à leur pied est toxique, elles meurent avant la fleur et le fruit», donnant ainsi des cours de physiologie végétale.
J’avoue que je n’ai jamais entendu de pareils propos. Mettre hors de cause les eaux usées dans la transmission de maladies graves est inédit. L’eau usée n’est pas une eau sale, mais une eau souillée, infectée par divers agents pathogènes et autres poisons qui peuvent nuire à la santé humaine et animale.
Un rapport de l’OMS établi en 2012 concernant l’utilisation de ces eaux dans l’agriculture mentionne expressément : «Les eaux usées contiennent divers agents pathogènes, dont un grand nombre sont capables de survivre dans l’environnement (dans les eaux usées, sur les cultures ou dans les sols) suffisamment longtemps pour être transmissibles à l’Homme.»
Il est indispensable de rappeler que les eaux usées ne concernent pas uniquement les déchets domestiques et ménagers, mais aussi les déchets hospitaliers avec tout ce qu’ils peuvent contenir – le médecin est bien placé pour le savoir ! – et les déchets industriels avec tous les résidus de produits chimiques et autres substances nocives. Le tout se déverse dans le réseau d’assainissement et contamine l’eau avec laquelle les agriculteurs véreux irriguent leurs cultures. Il n’y a absolument aucune raison qui puisse justifier l’utilisation de ces poisons dans l’irrigation.
Si les eaux usées pouvaient être utilisées sans risque pour la santé publique, pourquoi alors a-t-on inventé les stations d’épuration ? Pourquoi alors traiter suivant un procédé complexe qui nécessite des dépenses faramineuses des eaux qui ne seraient pas nocives ? Pourquoi l’utilisation de ces eaux est interdite dans tous les pays du monde et est punie par la loi ?
En Algérie, la loi relative à l’eau, promulguée en 2005, stipule dans son article 130 : «L’utilisation des eaux usées brutes pour l’irrigation est interdite.» Les peines relatives à ce délit sont mentionnées dans la même loi, article 179 : «Quiconque commet une infraction aux dispositions de l’article 130 de la présente loi est puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de cinq cent mille à un million de dinars. En cas de récidive, la peine est portée au double.»
L’auteur de la réflexion se préoccupe d’un aspect commercial et ignore la santé des consommateurs. Le citoyen n’aurait donc pas le droit de se soucier, ni de s’inquiéter pour sa santé en boycottant des produits dont il craint qu’ils soient nocifs. En l’absence d’information et de communication de la part des canaux officiels qui ont laissé se propager les rumeurs les plus folles depuis le début de l’apparition de l’épidémie de choléra, un cadre du ministère de la Santé avait «soupçonné» les produits agricoles d’être le vecteur de transmission de cette maladie.
L’utilisation des eaux usées pour l’irrigation peut provoquer des maladies redoutables et plus graves encore que le choléra. Les symptômes de ces dernières n’apparaissent pas dans l’immédiat. Les poisons contenus dans les produits irrigués avec des eaux usées non traitées s’accumulent au fur et à mesure dans le corps humain et ne se manifestent qu’après plusieurs années et s’avèrent ainsi compliqués et difficiles.
Je veux bien qu’on me pende haut et court à côté du docteur s’il arrive à me démontrer le contraire et s’il a le courage de consommer durant toute l’année des produits irrigués à partir des eaux d’égouts. Ce serait la preuve irréfutable de ses affirmations.
A. M.
(*)Expert en agriculture et conseiller à l’export
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