Birmanie : Suu Kyi défend l’emprisonnement des journalistes
L’image de celle qui a reçu en 1991 le prix Nobel de la Paix pour sa résistance contre la junte militaire est de nouveau écornée. Sortant de son silence, la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi vient de défendre la peine prononcée contre les deux journalistes de l’agence Reuters, Wa Lone et Kyaw Soe Oo, condamnés à sept ans de prison après leur enquête sur un massacre de musulmans rohingyas par l’armée de son pays.
«The Lady» a tout juste concédé que la crise globale, qualifiée de génocide par l’ONU, aurait pu être «mieux gérée».
«Ils n’ont pas été emprisonnés parce que c’étaient des journalistes» mais parce que «le tribunal a décidé qu’ils avaient enfreint» la loi, a-t-elle déclaré lors du Forum économique mondial de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est à Hanoï.
La ministre des Affaires étrangères et «conseillère spéciale de l’Etat», qui occupe de facto la fonction de chef de gouvernement depuis la victoire de son parti aux élections législatives de 2015, commentait pour la première fois ce jugement prononcé le 4 septembre.
«Si nous croyons en l’Etat de droit, ils ont tout à fait le droit de faire appel du jugement», a-t-elle préconisé, alors que l’indépendance du système judiciaire est sujette à caution dans ce pays dirigé par une junte militaire jusqu’en 2011 et où le poids de l’armée reste absolument prépondérant.
«Une fois de plus, Aung San Suu Kyi a faux sur toute la ligne (…) Elle ne comprend pas que “l’Etat de droit” implique que soient respectées les preuves présentées à l’audience», a critiqué l’ONG Human Rights Watch, réagissant à cette rare prise de parole de la dirigeante birmane.
Sean Brain de la Commission internationale des juristes, ONG internationale ayant suivi de près le procès, a contredit Suu Kyi, dénonçant un procès ayant été «un échec manifeste de l’Etat de droit».
Dans ce contexte politique particulier, la prix Nobel de la Paix a été très critiquée à l’étranger pour son silence dans cette affaire, au point d’être qualifiée de «porte-parole des militaires» par un haut responsable de l’ONU.
Campant sur sa ligne de défense, elle s’est aussi montrée imperméable aux accusations contre l’armée birmane venues de l’ONU, qui a parlé fin août de «génocide» de la minorité musulmane des Rohingyas.
Tout juste a-t-elle concédé que les militaires auraient pu «mieux gérer» la crise, qui a conduit à l’exode au Bangladesh de 700 000 personnes depuis l’été 2017.
«A posteriori, il y a bien sûr des façons dont la situation aurait pu être mieux gérée», a-t-elle dit en marge du Forum économique à Hanoï.
Après des mois de blocage par le gouvernement birman, des fonctionnaires de l’ONU ont commencé mercredi 12 septembre une mission en Birmanie afin d’évaluer les conditions d’un éventuel retour des centaines de milliers de Rohingyas qui ont fui le pays.
Cette mission intervient dans un contexte de grande tension entre la Birmanie et les Nations unies.
Des enquêteurs de l’ONU avaient demandé en août que des poursuites soient engagées contre le chef de l’armée et cinq hauts gradés. La Cour pénale internationale s’était ensuite déclarée compétente pour enquêter sur certains des crimes perpétrés.
Aung San Suu Kyi est directement visée par le rapport des experts de l’ONU, qui déplore qu’elle n’ait pas utilisé son «autorité morale» pour tenter de faire cesser les atrocités.
En 2017, sous la menace de l’armée et de milices bouddhistes, plus de 700 000 Rohingyas ont fui le pays. Ils ont trouvé refuge dans d’immenses campements de fortune au Bangladesh.
Un accord de rapatriement a été signé entre Dacca et Naypyidaw fin 2017, mais le processus est au point mort, les deux pays se rejetant mutuellement la faute.
Les réfugiés rohingyas refusent, quant à eux, de revenir tant que leur sécurité et leurs droits ne seront pas garantis.
Le rapport complet des enquêteurs de l’ONU est attendu le 18 septembre, et la Birmanie sera au centre des attentions lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies.
R. I.
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