Audin : entre nostalgiques de l’Algérie française et intégristes ingrats
Par Akram Chorfi – En faisant ce geste, par le biais d’une reconnaissance qui porte sur l’assassinat d’un Algérien d’origine française, le président français, Emmanuel Macron, a voulu faire avancer les choses, sans se faire bousculer par les nostalgiques de l’Algérie française.
Le nom Maurice Audin neutralise l’instinct raciste chez certains pieds-noirs qui peuvent faire une concession politique sur le dossier de la liquidation mémorielle. Macron le sait, qui n’a fait qu’emboîter le pas, dans la même logique d’escalier, à François Hollande, faisant avancer d’un cran, timidement, le contentieux mémoriel qui impose à la France, à la conscience française, une reconnaissance de son passé colonial et de son caractère criminel contre l’humanité.
Le président Macron fait de la politique ; il n’est pas un militant de la mémoire algérienne et il ne faut pas perdre de vue que même si cette initiative a des effets escomptés sur les relations algéro-françaises, elle n’en demeure pas moins – par ses traitements, ses implications politiques, les suites qu’il sera jugé utile de lui donner face aux questionnements publics, des élus du peuple et des médias français – une question strictement franco-française.
En revanche, elle commencera à devenir une question algéro-française lorsque Macron aura réussi à neutraliser le dissensus profond entre Français qui entrave un règlement définitif de la question mémorielle, qui devait trouver son terme échu par une reconnaissance pure et simple que la colonisation – quelle qu’elle ait pu être et où qu’elle ait pu être entreprise – n’est pas un acte civilisationnel mais une violence historique qui débouche souvent sur des génocides et des tentatives chroniques d’annihilation humaine et culturelle des peuples autochtones.
Ce n’est, pourtant, pas aux Algériens d’espérer que ce dossier soit pris en charge en France car il y va, humainement et historiquement, de l’intérêt de la conscience française de se libérer d’un tel fardeau collectif que les générations «coupables» veulent léguer aux générations françaises nées après la Guerre d’Algérie.
Macron fait partie d’une génération de Français qui ont un avantage et un handicap. L’avantage de la distance par rapport à des événements qu’il n’a pas vécus et celui d’un présent où des citoyens nés algériens constituent aujourd’hui une partie importante de la population française. Et le handicap de la non-implication qui lui ôte, non en tant que Président mais en tant que personne, une certaine légitimité émotionnelle et, donc, le droit d’avancer seul sur la voie de la reconnaissance, sans essayer de comprendre ceux qui ont leurs raisons de croire qu’ils avaient raison de s’accrocher, à tout prix, à n’importe quel prix, à un pays qui n’était pas le leur et dont les populations d’origine n’avaient jamais cessé de le leur signifier 132 années durant.
Ce sont toutes ces difficultés que Macron, président de la génération de la rupture, semble-t-il, tente de contourner. Il n’arrivera à le faire, peut-être, que s’il parvient à arrimer les Français à une nouvelle ère économique et sociale. Après tout, la nostalgie de l’Algérie française – et son pendant révisionniste – n’est-elle pas le symptôme d’une France qui n’est pas encore arrivée à donner un nouveau rêve aux Français ?
Quant au qualificatif de raciste asséné par Mokri à la démarche, malgré tout, constructive du président français, il est impropre en la circonstance pour plusieurs raisons, la plus importante étant, avant tout, l’algérianité incontestable de Maurice Audin qui a consenti l’ultime sacrifice pour son pays, l’Algérie, et pour un idéal de liberté et de justice, alors qu’il pouvait, en tant que Français, se retrancher de l’autre côté de la barrière et hurler avec les loups.
L’Algérie lui doit, comme à tous les martyrs, le devoir éternel de mémoire, et la France, son bourreau et, tout de même, la patrie de ses ancêtres, le devoir de reconnaissance d’un assassinat ignominieux qui a longtemps pesé sur la conscience française.
D’où, faut-il s’en rendre compte, la difficulté de la situation. D’un côté, des racistes retranchés dans leur nostalgie inconsolable qui auraient levé les boucliers en entendant un nom d’Arabe et, de l’autre, des sectaires intégristes qui n’ont rien compris à la Révolution algérienne et sa dimension humaniste, qui ont effectivement levé leurs boucliers en entendant un nom de chrétien.
A. C.
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