Engouement des Italiens pour l’arabe : les universités affichent complet
De Rome, Mourad Rouighi – Selon le professeur Franco Cardini, «l’ouverture de l’école italienne sur le monde arabe est bien antérieure à la colonisation de la Libye ou à l’immigration maghrébine et doit en vérité bien peu à l’importance économique des échanges bilatéraux ou aux événements qu’a connus le Proche-Orient au cours du siècle précédent.» Pour cause, la langue arabe en Italie devint à partir du VIIe siècle une langue de culture, de sciences, de commerces et de toutes sortes d’innovations et de découvertes.
«C’est par cette voie que l’héritage des grandes civilisations du Moyen-Orient, de même que la pensée grecque et latine furent repris et développés en Occident», souligne le professeur, ajoutant que «les connaissances transmises par les ouvrages arabes passèrent à l’Occident grâce aux traductions en latin et en langues néolatines et débouchèrent sur le majestueux développement scientifique de la Renaissance».
Ce préambule aussi bref que révélateur nous est d’une grande utilité pour comprendre la surprise du recteur de l’Université des sciences orientales de Naples, Elda Morlicchio, qui a fait part à la télévision italienne de son étonnement devant la clameur médiatique réservée à l’engouement des jeunes universitaires italiens pour la langue d’Ibn Rochd et d’Al-Moutanabi. «Rien de plus naturel et de plus logique, le quart des mots qu’on utilise tous les jours est d’origine arabe», a-t-elle affirmé.
C’est que le phénomène a pris de telles proportions qu’en Italie tout le monde en parle, des filières et des matières quasi désertées, pendant ce temps les cours de langue et civilisation arabes affichent partout complet, à Bologne comme à Rome, à Naples et à Palerme.
A l’université Pie XII de Rome, les inscriptions ont été épuisées en trente-six heures. Cet intérêt croissant vers le monde arabe, sa culture et ses traditions est confirmé par les chiffres annoncés par le ministère de l’Enseignement supérieur italien relatifs aux nouveaux inscrits à deux universités considérées comme des références incontournables pour les études sur l’Orient : la Cà Foscari de Venise et l’Orientale de Naples.
Ces deux universités qui proposent des cours de licence, prévoyant l’enseignement de la langue arabe, de la civilisation arabo-musulmane et du droit musulman, ont enregistré, de 2010 à nos jours, une croissance de l’ordre de 350%. Idem pour l’université de Milan, où le cours de langues et cultures de l’Eurasie et de la Méditerranée a presque doublé le nombre d’étudiants inscrits.
Mais qu’est-ce qui poussent les étudiants italiens vers l’apprentissage d’une langue si difficile et complexe comme l’arabe, considérée par les linguistes italiens comme étant l’Everest à monter ?
Un début d’explication nous est fourni par le professeur Franco Cardini lui-même, qui estime que cet engouement est mû par l’envie des jeunes de comprendre à fond les dynamiques et les problèmes qui traversent ces pays sans avoir besoin de la médiation des médias occidentaux, qui pourrait répondre, selon eux, à des considérations multiples.
Et l’effet 11-Septembre dans tout cela ? Les experts italiens, tout en reconnaissant que cet événement a sans doute éveillé l’intérêt de certains jeunes pour cette culture jusque-là peu connue, s’accordent à dire que les raisons qui sont derrière l’engouement pour la langue arabe est à rechercher dans l’objectif affiché clairement par ces derniers, à savoir suivre des cours d’arabe pour se préparer à travailler à l’avenir, dans un des pays arabes et étoffer leur propre curriculum vitae, de façon à avoir plus de chances à trouver un emploi en Italie et dans le monde arabe.
Autre créneau porteur, le tourisme culturel qui donne aux jeunes des possibilités concrètes de recrutement. Des régions comme la Sicile, la Calabre, les Pouilles, la Sardaigne et même la Vénétie sont riches en vestiges arabes, fruit de la présence des princes omeyyades en Italie entre les VIIIe et XIe siècles, d’où l’importance d’une bonne connaissance linguistique pour se définir un profil adapté aux exigences du secteur.
Une donne que les apologètes du choc inéluctable des peuples et des cultures auront du mal à digérer.
M. R.
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