Contribution – Que cachent les propos de Bajolet sur le président Bouteflika ?
Par Akram Chorfi – Ceux qui pensent que Bernard Bajolet est définitivement sorti des circuits de l’Etat français ignorent certainement que la seule porte que peut emprunter un fonctionnaire des renseignements français pour sortir est celle qui le mène au cimetière lorsque l’âge ou la maladie le font passer de vie à trépas.
Bernard Bajolet est en mission pour le président Macron, qui a décidé de faire de ce mois de rentrée sociale un mois de la mémoire, mais d’une mémoire toute particulière, qui réveille des démons du passé, au moment où tout le monde a l’impression que le président français en évoque les figures angéliques.
A travers une relation des faits qui installe l’ancien ambassadeur de France à Alger dans une intimité particulière avec le président Bouteflika ne voilà-t-il pas que ce fonctionnaire, toujours en service, assène «ses vérités» sur le Président, dont il dit, non sans se donner l’air de l’outrage, qu’il «est maintenu en vie artificiellement».
Pourquoi une telle sortie au moment où, paradoxalement, le président Bouteflika affiche un état de santé plus prometteur que durant les mois écoulés, et juste après une visite d’Etat de la chancelière allemande qui a longuement discuté avec le chef de l’Etat sur des questions profondes de portée régionale et internationale ?
La France enverrait-elle des messages à peine codés au pouvoir algérien pour signifier qu’elle pourrait agir à l’encontre de la ligne électorale qui semble avoir été tracée ces dernières semaines en Algérie, notamment celle d’un 5e mandat pour le président Bouteflika ? La sortie de Bajolet à travers son interview dans Le Figaro s’est voulue un exergue sur la question, et de la façon la plus agressive qui soit, comme pour secouer l’interlocuteur algérien et le pousser à reprendre langue pour poser la question de savoir ce qui se passe.
Bajolet est le tazzer du président Macron qui voudrait, semble-t-il, profiter «de cette transition électorale» pour «faire pression» sur les autorités algériennes qui, à la faveur de la sensibilité de ladite transition, pourraient ou devraient faire des concessions au programme politique de Macron sur des questions communes aux deux pays ou encore celles sur lesquelles les intérêts de la France pourraient être mieux promus ou risquent d’être, à défaut de ces manœuvres, fortement compromis.
Une stimulation de l’écoute par «tazzer» (Bajolet) interposé devrait permettre à la France d’aborder avec les autorités algériennes les questions si chères à Macron, et que ce dernier semble vouloir gérer à la hussarde, Trump mania oblige, selon une réalité des rapports de force supposés être favorables, en la circonstance, à l’Etat hexagonal.
Et puis, d’une pierre deux coups. En décrétant Bouteflika «maintenu artificiellement en vie», la France de Bajolet smache, en passant, la chancelière allemande, Angela Merkel, tout récemment arrivée à Alger, qui s’est longuement entretenue avec le président Bouteflika et qui a, par sa venue, sabordé l’attentisme français vis-à-vis d’Alger, surtout que l’Allemagne est aujourd’hui un grand concurrent de l’Hexagone sur le marché algérien.
Mais la grande question, celle qui mobilise Macron et qui a inspiré l’interview de Bajolet, c’est celle des harkis que Macron entend réhabiliter au niveau des deux rives, multipliant les messages symboliques à l’adresse de ses interlocuteurs algériens, tel celui, récent, concernant Maurice Audin, dont il faut peut-être comprendre le sens induit via la sortie d’Eric Zemmour, Monsieur le chargé des sales besognes, qui nous dit que ce martyr algérien est un traître à la France qui «mérite douze balles dans la tête». N’est-on pas en train de nous dire, côté français : «Nous pardonnons à nos harkis dont vous dites qu’ils sont vos héros, alors pardonnez à vos harkis dont nous, nous disons qu’ils sont nos héros.»
Difficile de soutenir, ne serait-ce que pour la nécessité de l’analyse, que Audin soit un «harki» pour la France, car on ne peut comparer un héros qui a choisi un idéal de justice et des individus, quelles que soient leurs circonstances, qui ont décidé de se mettre, contre leurs propres frères, du côté du plus fort. Mais en politique, tout se soutient et tout est présenté comme une marchandise comparable et monnayable.
Ce qui semble perdu de vue dans ce marché à la criée de la mémoire collective, c’est que quel que soit l’enjeu politique de l’heure qui se puisse considérer de ce côté-ci de la rive, auquel on semble accorder une grande valeur dans l’autre côté, la question des harkis est d’un abord impossible en Algérie par l’angle d’où le jeune Macron semble l’entreprendre, et tout Algérien qui serait tenté de s’y frotter signerait sa fin politique.
Ce qui est évident en la circonstance, en revanche, c’est que l’Algérie dérange par ses choix politiques, ses choix sécuritaires, ses relations de voisinage avec le voisin de l’Ouest, sa manière de gérer et d’entretenir la vivacité de sa mémoire historique. Le tout confondu semble contrarier la politique régionale de la France qui voudrait voir
l’Algérie réhabiliter les harkis, s’ingérer militairement dans la région, servir de centre d’accueil pour les migrants, composer avec le Maroc sur le Sahara Occidental, ouvrir ses frontières en vue d’un Maghreb économiquement porteur pour les investissements français, s’aligner sur les questions internationales, et la liste reste longue qui pourrait figurer secrètement dans le carnet des frustrations diplomatiques de B. Bajolet.
A. C.
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