Dossier libyen : Rome cherche le soutien de Vladimir Poutine
De Rome, Mourad Rouighi – Giuseppe Conte sait que les semaines à venir seront décisives pour déterminer les contours de son intense action diplomatique et pour dresser un premier bilan des efforts de son gouvernement sur la scène internationale et notamment sur le dossier libyen. En effet, Le 24 octobre, le Premier ministre italien ira à Moscou à l’invitation du président russe, Vladimir Poutine. Et en novembre, la Sicile, accueillera une conférence internationale sur la Libye, qui pourrait constituer une nouvelle étape de la stratégie italienne pour ce pays. Deux rendez-vous décisifs liés entre eux par une toile articulée de rapports et d’intérêts complexes.
Première étape donc, Moscou, durant laquelle Giuseppe Conte aura des entretiens importants avec le Maître du Kremlin. Il s’agira pour le locataire du Palais Chigi de relancer les rapports avec la Russie, tout en préservant l’alliance stratégique avec les Etats-Unis.
Un exercice de haute voltige. Car si le gouvernement italien est considéré par Donald Trump comme étant un allié précieux dans la stratégie européenne de ce dernier et la Maison Blanche apprécie hautement son rôle de pont d’union entre Moscou et Washington, le Ministre des affaires étrangères Enzo Moavero Milanesi, en diplomate chevronné, sait bien que le rôle de pont entre deux superpuissances, peut limiter la marge de manœuvre de son pays et sa propre liberté d’action ; même s’il n’a jamais été question de choisir entre la dimension atlantique de l’Italie et une hypothétique alliance avec la Russie sur certains volets, aussi importants soient-ils.
Cela étant précisé, rappelons que le gouvernement d’alliance Ligue du Nord – Mouvement des Cinq Etoiles, avait inscrit noir sur blanc dans son programme, sa volonté de ne plus respecter les sanctions frappant la Russie et Matteo Salvini, l’actuel ministre de l’Intérieur et chouchou des sondages, ne rate aucune occasion pour appeler à la nécessité de rouvrir les canaux commerciaux entre l’Italie et la Russie. Une position appuyée par d’autres pays européens et non des moindres, l’Allemagne entre autres, mettant en relief les préjudices économiques subis par les entreprises italiennes, très présentes en Russie, jusqu’aux événements d’Ukraine en 2014.
Avec Vladimir Poutine, Conte parlera à coup sûr de Libye. Et c’est sur ce point précis que l’Italie compte engranger les meilleurs résultats. Le président russe qui n’est pas un dilettante, loin de là, écoutera son interlocuteur et fera agir comme à son accoutumée son fer de lance, Sergeï Lavrov qui, dirigeant un pool d’ambassadeurs parfaitement arabophones sous la houlette de son adjoint, le brillant Mikhaïl Bogdanov, marque de plus en plus de points en Lybie ; ce sommet déterminera d’éventuels points de contact entre les positions italienne et russe.
C’est que Rome, après avoir encaissé le soutien de Donald Trump pour le leadership pour la phase de transition libyenne, souhaite obtenir le «blanc seing» de Moscou pour se présenter à la conférence internationale de Sciacca comme une puissance pouvant peser sur l’avenir de la Libye. Elle ne se suffit pas d’hériter de la cabine de régie conjointe pour une Méditerranée élargie, notion chère à la Maison Blanche. Tripoli a de tout temps été pour l’Italie le carrefour d’intérêts internationaux et il est essentiel pour s’y maintenir de ratisser les soutiens les plus larges.
Et Vladimir Poutine qui, dès le départ, a soutenu Khalifa Haftar, détient quelques clés. Tandis que l’Italie, bien au contraire, a beaucoup investi sur Fayez Al Sarraj. Mais la situation aujourd’hui évolue très rapidement. Les récents incidents de Tripoli ont fini par convaincre les stratèges italiens de la nécessité de jeter des ponts de dialogue avec l’homme fort de la Cyrénaïque. Et pour y réussir, l’Italie ne peut compter sur la France avec laquelle elle a engagé une partie de bras de fer, sans exclusion de coups bas, de tout genre, pour le leadership en Libye. Mais Rome peut tenter d’obtenir une plus grande ouverture vis-à-vis du Maréchal Haftar, précisément par le truchement des bons offices du Kremlin et des hommes de Lavrov qui ont tissé une toile très dense ces derniers mois avec Benghazi.
L’Italie, en échange, devra concéder quelque chose de substantiel à la partie russe : par exemple un engagement au niveau européen pour la levée des sanctions contre Moscou et un rééquilibrage de sa politique énergétique. Car Rome parle et part d’une position de quasi-monopole énergétique en Tripolitaine et au Fezzan, qui la rend aux yeux des Russes un acteur incontournable. Une alliance entre Eni et Rosneft prouverait que pour l’avenir de la Libye, d’amples champs d’actions seraient les bienvenus pour renforcer les synergies entre les deux pays.
La mission est clairement semée d’embûches. Le Premier ministre italien, sur son compte Facebook, se voulant optimiste, a écrit : «nous redonnons à l’Italie sa crédibilité en Europe et dans le monde». Mais lui-même sait que le terrain est assez risqué et truffé de pièges, dans cette course de positions en Libye, entre diverses nations proches et lointaines. Le jeu des superpuissances est complexe. Et aujourd’hui, dans un monde assez polarisé, s’acquitter du rôle de médiateur peut comporter des effets collatéraux pervers et des résultats imprévisibles.
L’intention, selon un diplomate italien au fait du dossier et de ses coulisses, est louable, mais pour marquer le point décisif, «il nous faut être vraiment forts, d’où l’importance de la mission moscovite de Giuseppe Conte, car la relance de la politique étrangère italienne requiert une constance et une conviction à toutes épreuves : savoir dialoguer avec tous et avoir clair le sens du cheminement final».
M. R.
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