Inédit – La fiche du MDN qui dissuada Chadli d’envoyer l’armée en Irak
Algeriepatriotique rend publique, pour la première fois, la fiche rédigée par le ministère de la Défense nationale en 1990 à l’adresse du président Chadli Bendjedid, dans laquelle sont exposés les motifs du refus d’envoyer des troupes algériennes en Irak pour prendre part à l’alliance conduite par les Etats-Unis à l’époque. Nous publions le document inédit extrait du second tome du Recueil des mémoires du général Khaled Nezzar à paraître ce mois d’octobre, avec l’aimable autorisation de l’auteur.
M. A.-A.
«L’Irak, par une opération militaire éclair, a occupé le territoire koweïtien, installé un nouveau régime qui lui est favorable et, à la suite de l’arrivée massive des troupes américaines et étrangères dans la région du Golfe et notamment en Arabie Saoudite, a annexé cet émirat.
Prétextant et amplifiant à dessein une menace d’agression irakienne contre l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis d’Amérique déploient et continuent à déployer des forces terrestres, aériennes et navales considérables et disproportionnées en Arabie Saoudite et dans le Golfe.
Exerçant une forte pression multiforme sur les pays occidentaux, les pays riverains de l’Irak et les pays arabes, les Etats-Unis visent à les amener à s’unir à leur action.
Considérant :
L’absence d’une menace militaire irakienne réelle contre l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, laquelle absence de menaces est confortée par les déclarations réitérées des autorités irakiennes,
Les forces déployées ou en cours de concentration par les Etats-Unis et les pays occidentaux se caractérisent par un aspect nettement offensif compte tenu de leur nature, volume et capacités de destruction,
Que l’Irak représente la seule puissance militaire et technologique arabe en mesure de constituer une menace potentielle contre Israël, allié stratégique des Etats-Unis dans la région et ennemi des Arabes.
Il apparaît :
3.1- Que la réaction occidentale, pour disproportionnée qu’elle soit, et qui, après les sanctions économiques draconiennes, a pris la forme d’une véritable expédition punitive contre l’Irak, largement et savamment préparée au sein de l’opinion publique internationale.
Elle vise globalement les objectifs suivants :
Stabiliser, à l’avantage des puissances occidentales, une région à forte turbulence, en assurant la sécurité des régimes fragiles et acquis à l’Occident ;
Profiter de la passivité, voire la complicité de l’Union soviétique et le désarroi du monde arabe, largement divisé.
3.2- Que l’intention propre des Etats-Unis d’Amérique ne vise pas uniquement à dissuader l’Irak d’agresser l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe mais…
3.3- Que leur intention finale est la destruction des potentiels militaires et technologiques de l’Irak, en vue d’abord de sécuriser leur allié stratégique privilégié et, ensuite, le placer dans une position de force en cas d’un éventuel règlement du problème palestinien ;
3.4- Que pour légitimer une opération militaire, même limitée contre un pays arabe, gagner l’opinion internationale et même interne, les Etats-Unis d’Amérique entendent obtenir un cautionnement de la nation arabe par la participation de troupes à leur action.
4- Force est de constater que le Sommet arabe tenu le 10 août 1990 au Caire répond au souci des Etats-Unis d’Amérique dans la mesure où la résolution adoptée vise à cautionner et à légitimer leur intervention et leurs alliés occidentaux.
Toutefois, et à ce jour, seuls deux pays arabes, en l’occurrence l’Egypte et le Maroc, ont répondu à l’attente des Etats-Unis d’Amérique en dirigeant dans la région des troupes somme toute symboliques.
Compte tenu de la nature des régimes de ces deux pays se distinguant par leurs relations privilégiées avec les Etats-Unis et leurs rapports étroits et continus avec Israël, la présence de troupes égyptiennes et marocaines ne saurait constituer, aux yeux de l’opinion de la nation arabe, une caution suffisante.
C’est dans ce cadre qu’il faut s’attendre à un redoublement d’efforts et une accentuation des pressions multiformes de la part des Etats-Unis d’Amérique pour obtenir la présence à leurs côtés des troupes de pays suffisamment représentatifs aux yeux de la nation arabe, tels l’Algérie en priorité, la Syrie, la Jordanie, voire la Tunisie, la Libye et même le Yémen.
5- L’envoi éventuel de troupes de l’Armée nationale populaire en Arabie Saoudite, dans cette situation caractérisée par le déploiement dans ce pays de forces américaines et occidentales destinées à l’évidence à une action de destruction des potentiels arabes, pourrait :
5.1- Au plan international :
– Aller à l’encontre de la position officielle de l’Algérie, exprimée au Sommet arabe du Caire et, par-là même, risquer de discréditer les engagements internationaux futurs de notre pays,
– Porter un préjudice certain à l’audience dont continue de bénéficier l’Algérie au sein de l’opinion des masses arabes,
– Contribuer à l’affaiblissement de la cause palestinienne et au renforcement de la position d’Israël dans la région.
Certes, il n’est pas exclu que l’engagement de troupes de l’ANP en Arabie Saoudite pourrait éventuellement valoir à l’Algérie certaines retombées financières et économiques.
5.2- Au plan national :
– Concourir à discréditer l’autorité de l’Etat en agissant à contre-courant de la position officielle de notre pays exprimée au Sommet arabe du Caire,
– S’aliéner l’opinion de la population qui, dans sa grande majorité, prend fait et cause contre les troupes étrangères en Arabie Saoudite et dans le Golfe,
– Contribuer à renforcer davantage l’audience et le crédit des partis politiques d’opposition, avec pour échéance imminente les élections législatives.
5.3- Au plan militaire :
– Entraîner le risque de destruction des troupes de l’ANP, si l’on considère l’emploi probable de l’arme chimique par les belligérants du fait de l’absence totale d’équipements appropriés en dotation dans nos forces ;
– Différer le développement et la restructuration des forces étant entendu que le volume du contingent à projeter éventuellement en Arabie Saoudite ne saurait être inférieur à une ou deux grandes unités interarmes (blindée-mécanisée), renforcées.
6- En conclusion, et compte tenu de ce qui précède, notamment les aspects hautement négatifs pour l’Algérie, tant au plan international que national et militaire, il ne saurait être recommandé d’envoyer en Arabie Saoudite ou en un quelconque pays du Golfe des troupes de l’Armée nationale populaire de quelque nature ou volume que ce soit.
Toutefois, il pourrait être envisagé la participation de troupes de l’Armée nationale populaire à une force militaire arabe, après le retrait préalable de l’ensemble des forces étrangères de la région.»
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