Distinguer entre les harkis et la masse corvéable engagée pour une soupe
Par L. A. – A partir des années 1920-1930, période de la «reprise historique» comme qualifiée par feu Abdelkader Djeghloul, les indépendantistes de l’ENA et leurs héritiers du PPA ne furent pas, statistiquement parlant, nombreux, même s’ils étaient la force vive de la société algérienne mise sous le joug. Le gros des troupes parmi les «indigènes» étaient plutôt pour l’égalité du statut avec les Européens, voire carrément assimilationnistes. Ils voulaient devenir Français à part entière et en finir avec le code de l’indigénat, le double standard face à la loi. Mais dans leur âme, ils étaient musulmans et Algériens, sauf que certains dignitaires et chefs de tribus comme Bengana (le coupeur d’oreilles) ou le bachagha Boualem de la plaine d’Orleansville (actuel Chlef) se sont mis volontairement au service des militaires et colons français avec, en sus, un zèle qui en faisaient de redoutables ennemis de leurs coreligionnaires.
Jusque-là, on ne peut parler de harkis, mais plutôt de m’tournis, d’assimilés. Arrive le 1er Novembre 1954. Plus de possibilité de tergiverser. Celui qui n’est pas pour l’indépendance est forcément contre. Certains, y compris parmi les anciens du PPA/ MTLD qui ont suivi Messali et ses tentatives de rester dans le jeu politique en créant la fameuse armée dirigeait par Bellounis dont les armes étaient fournies par la France, se sont trouvés piégés. Mais, dans l’ensemble, et malgré les réticences, le gros des Algériens a choisi la neutralité positive en faveur des militants indépendantistes de l’ALN/FLN.
Des preuves de la place hégémonique acquise par le FLN dans le mouvement pour l’indépendance de l’Algérie ? Citons, dans le désordre, les arrestations massives opérées par les troupes de répression de l’armée et des services de sécurité français, le nombre de candidats aux maquis ALN que les moudjahidine refusaient par manque d’arme, l’incapacité du pouvoir gaulliste à créer une force alternative à l’ALN/FLN comme interlocuteur légitime du peuple algérien dans la négociation avec la France.
Et les harkis dans tout ce mouvement ? Ce sont ceux qui ont refusé soit d’être neutres, soit de collaborer lorsque la demande leur a été adressée. On connaît tous des personnalités qui siégeaient en tant que députés dans les Assemblées préfabriquées par le colonat pour, soi-disant, faire croire que l’Algérie était heureuse et pacifiée. Mais lorsque le FLN les a mis devant le fait accompli, beaucoup ont apporté avec discrétion leur aide. Une aide qui s’est accélérée et exprimée avec force démonstration après le cessez-le-feu de mars 1962.
Il faut faire un distinguo entre les responsables harkis et les collaborateurs civils du système répressif français en Algérie et en France métropolitaine, et la masse corvéable qui s’est engagée pour une gamelle de soupe et un quignon de pain. A la différence des Vietnamiens dont le pays n’était pas une colonie de peuplement, les responsables de l’Algérie indépendante n’ont pas pensé à créer des centres de rééducation pour réintégrer au sein de la nation renaissante les brebis égarées. Ils ont, de ce fait, offert à tous les revanchards et nostalgiques de la colonisation, une espèce qui est loin d’être en voie de disparition, une masse de manœuvre qu’ils peuvent activer à chaque fois qu’ils en ont besoin.
L. A.
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