Contribution – De la pauvreté dans les deux «grandes démocraties» du monde
Par Mesloub Khider – La France, sixième puissance économique mondiale, berceau de la démocratie bourgeoise, devenue immense tombeau de l’égalité sociale, gigantesque cimetière de la fraternité, demeure néanmoins l’horizon vivant béni pour la liberté du capital. D’après une récente étude, des millions de Français sont en situation de «précarité alimentaire», selon la terminologie officielle. Manière moderne de désigner la pauvreté.
Ainsi, un Français sur cinq est en situation de précarité alimentaire, selon le dernier baromètre Ipsos-Secours populaire publié le mardi 11 septembre 2018. Dans les foyers modestes disposant de revenus mensuels inférieurs à 1 200 euros, la précarité est encore plus prononcée. Dans cette catégorie extrêmement défavorisée, plus d’un Français sur deux indique avoir des difficultés à payer la cantine de ses enfants et près d’un sur deux (48%) estime avoir des difficultés à se procurer une alimentation saine et variée.
De façon générale, le Secours populaire souligne que 39% (+2% par rapport à 2017) des sondés a indiqué avoir déjà connu une situation de pauvreté. En outre, presque la moitié des Français ont admis avoir des difficultés financières pour s’offrir des vacances une fois par an. Et près d’un Français sur trois éprouve des problèmes financiers pour payer des actes médicaux mal remboursés. À noter également qu’ils sont plus de 80% à penser que leurs enfants seront plus vulnérables face à la pauvreté que leur génération.
Sur un autre chapitre de la «précarité», dans un rapport publié à la fin de l’année 2017, il était question des conditions de logement de la population française. Sur cet aspect également, la situation s’est amplement dégradée. La France est actuellement le pays des 476 bidonvilles, abritant 17 000 personnes, en dépit des fréquentes actions policières pour détruire les bidonvilles. Car aucun logement alternatif n’est offert.
Au demeurant, ces dernières années, en France, les bidonvilles se construisent au rythme du déclin des logements sociaux, à la vitesse de l’explosion des expulsions des résidents de leur domicile. Ces verrues surgies sur la figure hideuse de la nouvelle France misérable représentent une véritable plaie dans ce pays riche de pauvreté. Ces palais d’infortune des nouveaux pauvres est l’illustration de la propagation massive de la misère de masse en France, conséquence de la crise économique malgré l’illusion des performances des CAC40 à la Bourse de Paris.
Force est de constater que la France démocratique compte 3,5 millions de mal-logés, 10 millions si l’on y adjoint tous les ménages fragilisés à court ou moyen terme. En outre, la France comptabilise 140 000 sans domicile fixe, un nombre en hausse de 50% en dix ans. De manière générale, ces dernières années, la part des revenus salariés consacrés au logement s’est considérablement accrue. Un tiers de la population en France dépense plus de la moitié de ses revenus pour le logement. En outre, la pénurie de logements abordables a un impact sur la vie quotidienne, sur la vie familiale, sur la santé des ménages, etc.
Au reste, le nombre de logements sociaux construits chaque année est en baisse constante. Car les collectivités locales sont de plus en plus réticentes à construire de nouveaux logements sociaux. Mais aussi, par manque de financements, les budgets sociaux étant ponctionnés. En raison de cette crise du logement, signe de l’accroissement de la pauvreté en France, on assiste à la réapparition importante de bidonvilles, notamment dans les grandes villes. En particulier dans la région parisienne. Près de 20% des bidonvilles français sont installés en Seine-Saint-Denis. Dans ces campements, les familles n’ont accès ni à l’eau ni à l’électricité. La plupart des bidonvilles ne disposent ni de WC ni d’eau potable, ni de chauffage. En outre, la proportion de personnes logées dans des conditions insalubres est en très forte augmentation.
Par ailleurs, pour des milliers de locataires redevables de loyers impayés, l’arrivée du printemps constitue pour eux le début de l’hiver de leur vie. En effet, en France, la fin de la «trêve hivernale» marque l’expiration de la date de l’interdiction des expulsions des locataires insolvables, débiteurs. Et la loi est implacable. Le seul traitement réservé au locataire défaillant est l’expulsion manu militari sans relogement.
Travailleurs pauvres aux Etats-Unis
De l’autre côté de l’Atlantique, dans la plus grande «démocratie bourgeoise» et la première puissance économique du monde, les Etats-Unis, pareillement la précarité a augmenté au même rythme que la croissance des interventions impérialistes de son armée suréquipée.
Le constat est accablant. L’un des pays les plus riches de la planète compte officiellement 41 millions de personnes sous le seuil de pauvreté. A ce chiffre, il faut ajouter plusieurs autres millions non-comptabilisés du fait de l’arbitraire statistique excluant les personnes placées légèrement au-dessus du seuil de pauvreté, vivant néanmoins dans la pauvreté. Ces personnes font partie de cette nouvelle catégorie des «working poors», ou «travailleurs pauvres», en très forte augmentation (Les travailleurs pauvres sont des personnes qui sont employées, mais dont les revenus insuffisants les laissent sous le seuil de pauvreté).
Sur ces 41 millions de pauvres «officiellement comptabilisés», 9 millions de ces personnes ne disposent d’aucun revenu, ne perçoivent aucune aide financière. Ainsi, 9 millions de personnes vivent dans l’un des pays les plus riches de l’histoire de l’humanité, sans recevoir aucune aide pour survivre, aucun moyen de subsistance. Au reste, pour survivre, de nombreux travailleurs sont contraints de cumuler plusieurs emplois afin de pouvoir joindre les deux bouts du nécessaire vital.
Personne en situation de précarité ou personne affamée ?
Selon le ministère de l’Agriculture américain, aux Etats-Unis, près de 41 millions de personnes se trouvent en situation de précarité alimentaire. Dans la plupart des pays, ces personnes seraient classées dans la catégorie des pauvres, de ceux qui ont «faim». Mais aux États-Unis, comme en France, les autorités étatiques ont décidé d’employer un terme autrement plus orwellien pour les définir : «Personnes en situation de précarité».
Aussi, par euphémisme, les 41 millions d’Américains incapables de s’acheter des provisions sont à présent catalogués comme des personnes en «très faible sécurité alimentaire». Dans la période de la Grande Dépression des années 1930, cette catégorie aurait été principalement constituée de chômeurs de longue durée et de sans-abri. Mais, aujourd’hui, elle est composée majoritairement de travailleurs (pauvres). En effet, cette catégorie comprend de plus en plus de travailleurs pauvres, disposant de salaires faibles. Pour se nourrir, ces travailleurs sont contraints de recourir aux banques alimentaires.
Au reste, ces dernières années, les bénéficiaires des banques alimentaires ont considérablement augmenté. Selon les études des banques alimentaires, l’élévation des factures d’eau et d’énergie, l’augmentation du prix du carburant et des frais de santé contraignent les travailleurs pauvres à dépendre des œuvres caritatives.
Pourtant, en dépit de l’augmentation des besoins, la majorité des gouvernements des États ont réduit drastiquement les subventions accordées aux banques alimentaires.
Par ailleurs, de leur côté, les agriculteurs américains ont considérablement réduit leur production vivrière, car ils se sont spécialisés dans la culture du maïs destinée aux agrocarburants. Privant ainsi les associations caritatives des excédents alimentaires versés autrefois par le secteur agricole.
Les autres pays «démocratiques» (Angleterre, Allemagne, Italie, etc.) offrent les mêmes spectacles de pauvreté et de précarité généralisées. Ces nombreuses nations démocratiques sont en train de rattraper les pays du Tiers-Monde, en matière de sous-développement.
Ainsi, aux quatre coins du monde, les mêmes mesures antisociales sont imposées par tous les gouvernements pour déréglementer les codes du travail. Partout, la précarité s’incruste dans tous les lieux d’existence. Partout, de nouvelles formes d’exploitation surgissent : les embauches sans contrat fixe, sans salaires fixes, sans garantie de site de travail, de retraite, de sécurité sociale, etc.
Précarité tous azimuts, tel est le programme social de la classe capitaliste mondiale. Ce n’est pas un pays, ce n’est pas une région, ce sont les gouvernements du monde entier (de gauche comme de droite) qui programment la précarité des travailleurs et des classes laborieuses.
Maintenir le mode de production capitaliste à tout prix
Pour pérenniser sa domination – son mode de valorisation du capital – la bourgeoisie précarise les conditions générales d’existence du peuple afin de le fragiliser socialement, politiquement. Cette dégradation des conditions sociales des classes laborieuses se manifeste sur tous les plans : aux niveaux médical, sanitaire, alimentaire, scolaire, culturel, sécuritaire (par le terrorisme organisé), etc.
Toutes les mesures gouvernementales de tous les pays vont dans le même sens : précariser et démoraliser les travailleurs dans la perspective de la prochaine inévitable crise économique systémique, aux fins de s’assurer la victoire par l’écrasement de son ennemi de classe.
En effet, la paupérisation des classes laborieuses n’est pas la conséquence de la détérioration soudaine de l’économie. Elle n’est pas non plus la résultante de l’apparition inopinée de la rapacité des capitalistes. La manifestation impromptue de leur méchanceté. Elle est l’expression d’une volonté délibérée de destruction de la confiance des travailleurs en leur propre force, en leurs capacités de transformation et d’émancipation sociales. De surcroît, un prolétariat précarisé, fragilisé, entièrement asservi, affamé, désorienté, est plus enclin à être embrigadé dans les entreprises chauvines et populistes, et surtout mieux conditionné à être transformé en chair à canon dans l’imminente troisième guerre mondiale en préparation.
De surcroît, le réformisme en général et l’idéologie petite bourgeoise en particulier, incapables de se figurer la fin du capitalisme, sont responsables de l’enlisement de la situation politique actuelle en raison de leur emprise idéologique sur les classes populaires, notamment par le truchement de leur domination sur la politique et les médias, sans oublier le précieux canal d’endoctrinement scolaire.
Au reste, ils n’hésitent pas à propager parmi les travailleurs les mensonges éhontés de la mort de la classe ouvrière, de l’extinction du projet émancipateur, de l’indépassabilité du capitalisme. Contribuant par leur propagande à ligoter idéologiquement les classes populaires, à les désarçonner.
Aujourd’hui, avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de crise systémique, le retour à sa période «prolifique et florissante» est impossible. L’État providence est révolu. Le sauvetage des «acquis sociaux» est chimérique, prouvant que rien n’est jamais acquis pour les ouvriers sous le capitalisme. Pareillement pour le service public, le code du travail, l’utopique «Etat de droit» bourgeois, la démocratie électoraliste bourgeoise, le consensus social, le syndicalisme, la politique réformiste.
Tout cela est définitivement dépassé par l’Histoire. Celle-ci mène à une seule alternative : transformation sociale ou barbarie…
M. K.
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