Immobilier, inflation et salaires
Par Akram Chorfi – On dit que le marché de l’immobilier est en crise dans notre pays et il est vrai qu’une crise structurelle est en train de s’installer sur ce marché qui, à moyen et long termes, si les raisons de cette crise ne sont pas endiguées, pourrait être atteint de déprime chronique.
Les causes de cette crise sont tellement évidentes et visibles qu’elles n’ont pas besoin d’être traduites et explicitées en des termes complexes d’expertise sectorielle, car elles proviennent directement des grands choix d’orientation financière du pays et de l’absence de mécanismes de compensation du même ordre pour être palliées sur un plan microéconomique. D’où cette léthargie qui s’empare du secteur immobilier et qui devrait être un phénomène tout à fait compréhensible et saisissable pour le commun, y compris et surtout pour les acteurs de l’immobilier, qu’il s’agisse du marché de vente ou du marché locatif.
Prenez un salarié qui a réussi à épargner, sa vie durant, la somme de 7 millions de dinars et qui s’apprêtait, début 2018, à consentir un achat de logement dont il avait préalablement défini les standards, décidé qu’il était à contracter un crédit bancaire pour se payer le projet de ses rêves. Mais ne voilà-t-il pas que l’inflation vient contrarier ce projet et réduire à néant le rêve familial. Alors qu’entre 2014 et 2018 l’inflation cumulée a atteint ou dépassé les 50%, le salaire de notre épargnant n’a pas augmenté d’un dinar. Deux coups durs pour notre bon citoyen et père de famille. D’une part, il lui faut le double de ce montant pour approcher le marché de l’immobilier avec les mêmes prétentions et, donc aussi sa banque qui ne peut lui prêter plus que s’il n’a pas plus à lui avancer. Et, d’autre part, il lui faut absolument trouver une destination salvatrice à cette épargne qui a perdu la moitié de sa valeur et qui continue de dégringoler par rapport au coût de la vie et au marché des principales devises.
Entre-temps, le marché immobilier et tous les domaines marchands ont inversement accompagné la dégringolade du dinar, à l’exception, heureusement, des domaines subventionnés. Résultat : tout a augmenté proportionnellement à l’inflation, notamment l’immobilier qui, sous d’autres cieux où l’argent frais vaut mieux que les masses de béton délaissées, aurait été bradé.
Tous ceux qui avaient prise sur la cession marchande de leurs biens ont procédé systématiquement à des augmentations au fur et à mesure qu’ils constataient la diminution de la valeur du dinar et l’augmentation conséquente du coût de la vie, n’accordant nulle importance à un détail important, à savoir qu’en Algérie, la majorité écrasante de leurs clients potentiels est composée de fonctionnaires salariés.
Et notre salarié épargnant d’accuser le coup sur deux fronts : le premier est celui du coût quotidien de la vie qui l’oblige désormais à confiner la plus grande partie de ses dépenses dans le panier alimentaire et autres dépenses domestiques et familiales, tout en disant adieu à sa capacité d’épargne ; le second a partie liée avec le loyer qu’il doit désormais accepter de voir augmenter, son propriétaire voulant absolument aligner la valeur de sa location sur la valeur du dinar et non sur la réalité des salaires.
D’où une augmentation inclémente des prix de l’immobilier à la vente et à la location qui n’est pas simplement contrariante pour les potentiels acquéreurs dans le sens où elle pourrait, malgré tout, les amener à consentir les transactions. Elle est paralysante et les met face à l’impossibilité d’opérer la moindre transaction, y compris dans le locatif où parfois le «sacrifice» est provisoire, face à un propriétaire qui a l’air de ne parler que de sa personne quand il tente de se justifier en vous disant, l’air d’oublier que vous êtes certainement le concerné par excellence : «Vous savez, tout est devenu plus cher !»
C’est donc là un marché qui entre en sommeil pour avoir intégré la donne inflationniste sans prendre en compte la réalité salariale qui, elle, est insurmontable dans un pays où la majorité des acteurs sociaux et économiques sont des salariés.
A. C.
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