Libéralisme et marxisme convergent après s’être opposés
Par El-Hadi − Marx est, comme Kant en philosophie, un «classique» : son approche réaliste de l’économie et du conflit social est un grand acquis. Mais ceci n’enlève rien au nécessaire dépassement du marxisme : le socialisme ne doit plus s’identifier à lui, compte tenu de ses limites théoriques et pratiques. Le marxisme a connu en effet trois phases : l’étape religieuse, l’étape critique et enfin l’étape actuelle dont on peut aisément tirer les conséquences.
Le révisionnisme résulte des progrès du syndicalisme qui a amélioré les conditions ouvrières et aménagé le capitalisme. Les luttes et les négociations syndicales quotidiennes dont les marxistes se méfiaient, obligent à un réexamen. Le mouvement syndical n’a en effet retenu du marxisme que la lutte des classes – au sens large – et l’auto-émancipation du prolétariat. Son réformisme a réfuté le «catastrophisme» marxiste postulant l’autodestruction du capitalisme. D’où la révision du marxisme.
Ainsi, Bernstein a proposé, au nom de la scientificité de Marx, d’adapter la doctrine à son temps, alors que Sorel a réfuté le marxisme dogmatique au nom du «vrai» Marx qui n’était pas selon lui déterministe. Cependant, les «révisionnistes» étaient inconséquents : leur réexamen n’affectait pas seulement le marxisme dogmatique, mais la doctrine de Marx lui-même. Car c’est bien chez Marx qu’il y a une vision déterministe de l’économie niant le rôle de la volonté. Sa vision de l’homme serait, paradoxalement, celle des utilitaristes, reprenant le modèle de l’homo œconomicus de Bentham. Aussi le socialisme doit-il reconnaître l’importance des exigences morales et éducatives pour une société juste.
Aujourd’hui, le libéralisme et le socialisme, après s’être opposés, sont en train de converger. Tandis que le libéralisme, affrontant peu à peu la question sociale, n’est plus nécessairement lié à l’économie libérale manchestérienne, le socialisme, rompant avec l’utopiste et l’autoritarisme, devient sensible à la liberté et à l’autonomie. Ainsi, le libéralisme «se fait socialiste», et réciproquement : ces deux visions «très hautes», mais unilatérales «tendent» à se co-pénétrer pour le meilleur : l’amour pour la liberté, d’un côté, l’aspiration à l’égalité selon la justice, de l’autre.
La crise du marxisme conduit donc au «socialisme libéral», car «le socialisme doit tendre à devenir libéral et le libéralisme à se nourrir des luttes prolétariennes». Déjà le maître de Rosselli, Gaetano Salvemini, avait montré que la lutte des classes n’exprimait pas les intérêts particuliers, mais l’aspiration solidaire du monde ouvrier à sortir d’une dépendance illégitime. Le conflit des classes, par lequel les ouvriers luttent pour la reconnaissance de leur autonomie, loin d’être antilibéral, correspond à la philosophie du libéralisme pour qui la lutte est le moteur de l’émancipation.
Le libéralisme de Rosselli, baptisé aussi «libéralisme politique», n’a donc rien à voir avec le pur libéralisme économique, nommé «libérisme». Pour Rosselli, le libéralisme est d’abord une «philosophie de la liberté». Aussi n’est-ce plus la bourgeoisie, mais le socialisme prolétarien qui est le «dépositaire de la fonction libérale».
Le libéralisme est, en effet, la «force idéale inspiratrice» et le socialisme la «force pratique réalisatrice».
E.-H.
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