Document secret – Le plan des services français pour infiltrer le GPRA (II)
Par Kamel M. – Dans une seconde note secrète dont Algeriepatriotique détient une copie, le «conseiller technique» du Premier ministre français Michel Debré au moment des négociations pour l’indépendance de l’Algérie explique à sa hiérarchie que «l’ouverture des pourparlers avec le GPRA suppose un effort particulier de renseignement».
A cet effet, écrit Constantin Melnik, «il serait nécessaire de monter une opération spéciale de renseignement du type de celle qui a été mise sur pied pendant Melun», c’est-à-dire les discussions qui ont précédé celles d’Evian. Pour mener cette opération d’espionnage visant les dirigeants politiques et militaires algériens, cet «effort de renseignement» devait «porter sur la recherche des intentions et des actes du GPRA». Melnik préconisait le «recrutement de correspondants (comprendre des espions) chez les personnes assurant le logement et le transport de la délégation».
Le conseiller de Debré pour le renseignement préconise aussi d’infiltrer le GPRA à Tunis et la délégation du Gouvernement provisoire algérien ainsi que les «milieux entourant cette délégation» en Suisse, «notamment des journalistes», précise l’auteur de la note rédigée à l’intention de Michel Debré.
A Paris, ce sont les «milieux d’extrême-gauche pro-FLN» que les services du renseignement français devaient surveiller, de même que les «ambassades maghrébines», tandis qu’à Evian, lieu des négociations, Constantin Melnik envisage d’infiltrer aussi bien la délégation du GPRA que les journalistes «suivant la conférence».
Au moment de la rédaction de la note, le 21 mars 1961, Constantin Melnik indique que le dispositif d’espionnage était «grosso modo en place» à Tunis et qu’un «gros effort» devait être «tenté» à Evian. L’auteur de la note se montre néanmoins quelque peu sceptique quant à l’efficacité de l’opération d’infiltration dans cette ville : «Il est à prévoir qu’il (le dispositif, ndlr) moins rentable qu’à Melun, notamment en raison des facilités offertes par le territoire français.» Le conseiller de Debré préconise alors de mobiliser un «groupe» d’agents du SDECE qui allait être chargé de l’infiltration (Melnik utilise le terme «pénétration») des journalistes, un autre chargé des «surveillances techniques», à savoir les écoutes téléphoniques et microphoniques si l’agencement des télécommunications de la ville le permet», et un «élément de spécialistes SDECE», c’est-à-dire des maîtres d’hôtel, des chauffeurs, etc.
Constantin Melnik explique au Premier ministre français que pour que l’opération puisse être «efficace», il était nécessaire d’installer un PC (poste de commandement) à Evian où «il sera directement orienté par la délégation (française, ndlr), centralisera rapidement tous les renseignements nécessaires à celle-ci, manipulera directement les dispositifs tant d’Evian que la Suisse, aura une liaison directe avec, à Paris, le cabinet du Premier ministre (…) qui sera chargé du contrôle et de l’orientation technique de l’opération».
Méfiant, Constantin Melnik précise que la liaison doit se faire avec le cabinet de Michel Debré «et non avec les services», c’est-à-dire avec lui personnellement. Le conseiller technique du Premier ministre ne faisait-il pas confiance aux services secrets français ? Craignait-il des fuites ? «Toutes les missions décrites ci-dessus devraient être confiées à des équipes spéciales qui devraient relever directement du cabinet du Premier ministre», insiste-t-il, avant d’ajouter que la mission de renseignement ne doit pas échoir à la police.
A peine la note de Constantin Melnik était-elle rédigée qu’elle était déjà entre les mains des services spéciaux algériens dont un des responsables a apposé trois points d’exclamation en marge du document, à côté du point relatif au dispositif mis en place à Tunis et à Paris et qui était «grosso modo en place». Le MALG avait dû agir en conséquence et promptement pour rendre obsolète tout le plan échafaudé par le conseiller de Michel Debré.
K. M.
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