Double échec
Par Bachir Medjahed – Entre l’Orient et l’Occident, l’Algérie a appris à ses dépens que son cœur ne doit pas balancer et qu’en tant que mode de fonctionnement de son système politique, elle n’est pas autorisée à se «désarrimer» de l’espace arabe.
Elle avait quand même, bien que cela fût sous la contrainte d’Octobre 1988, tenté une belle échappée, avec des enjambées franches, à la fin de la décennie 1980, en se lançant en une chevauchée fantastique sur la voie de la démocratisation. Mais elle était retenue par la «manche» par des pays (ou des régimes) arabes qui craignaient comme la peste que le virus de la démocratisation allait avoir un caractère transfrontalier et se transférer vers leurs territoires pour y infecter leurs sociétés. Il leur était difficile d’en prévoir l’antidote ou de substituer le dialogue à la répression pour s’en immuniser.
Leur inquiétude était d’autant plus importante que l’Algérie comptait dans ses rangs les démocrates les plus radicalistes dans le monde arabe et que le voisinage européen de l’Algérie pour son expérience démocratisante n’était pas des plus apaisants. Alors, il leur fallait redoubler d’imagination et d’effort pour créer un contrepoids à ces démocrates des plus audacieux.
La solution était toute trouvée. Elle consistait à faire des islamistes algériens les intégristes les plus radicalistes du monde arabe. Ainsi, l’Algérie ne pourrait ni balancer sans retour vers la démocratie ni sombrer sans retour vers la théocratie.
Ce mouvement d’oscillations condamné à ne jamais trouver sa position d’équilibre durablement stable a transformé le champ politique en une source permanente d’instabilité et d’insécurité. Il n’est ainsi pas facile à l’Algérie de maîtriser les données d’un exercice périlleux qui consistait à séduire le monde occidental tout en rassurant le monde arabe.
Dans un contexte où les pays occidentaux, plus particulièrement les Etats-Unis, pratiquaient plutôt une diplomatie lucrative, faisant prévaloir les intérêts sur les principes pourtant tant déclamés, il était évident qu’il ne fallait pas contribuer à assurer le succès au processus algérien de démocratisation pour que cela n’entraînât pas des implications sur les systèmes politiques dans le Golfe.
Etouffer dans l’œuf la démocratisation qui ne demandait qu’à éclore en Algérie entrait dans un processus de sous-traitance en faveur des pays arabes dits conservateurs, d’où l’absence d’empressement à contribuer à éradiquer la violence en Algérie.
Difficile alors pour l’Algérie de concilier entre des pays européens qui lui demandaient d’aller plus vite et plus loin sur le chemin de la démocratisation et des pays arabes qui lui reprochaient d’être allée trop vite et trop loin, ce qui la plaçait dans une situation où elle devait jouer en même temps du frein et de l’accélérateur.
Le plus loin que lui recommandaient les Européens consistait en la réintégration politique des dirigeants du parti dissous, car ils pensaient que les éléments d’un conflit interne armé – parti insurgé, milices armées, revendications politiques – étaient réunis.
Ainsi, il y avait des perceptions antagonistes. Des valeurs démocratiques qu’elle avait adoptées, l’Algérie pensait faire des atouts, au moins à l’égard de l’espace européen. En fin de compte, elles n’étaient pas comptées au rang des atouts outre-Méditerranée et elles étaient reçues comme des malédictions dans l’espace arabe.
L’Algérie n’avait gagné sur aucun des deux tableaux. Il a fallu attendre le 11 septembre 2001 pour que toutes les données soient changées.
B. M.
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