Comment Kamel Daoud dupe ses lecteurs au profit de ses mécènes
Par Youcef Benzatat – Dans la seconde partie de l’analyse critique du texte de Kamel Daoud «Ma guerre avec la guerre d’Algérie», paru dans le New York Times début novembre 2018, l’accent est mis sur son commentaire des déclarations du Président français, Emmanuel Macron, concernant la criminalisation de la colonisation. Pour rappel, la première partie de cette analyse critique avait traité de l’image de la guerre de libération nationale, de ses acteurs et du style avec lequel Kamel Daoud les avait abordés.
Encore une fois, il n’est pas question ici de faire le procès de Kamel Daoud sur ses errances de journaliste écrivain et son instrumentalisation évidente par une certaine élite intellectuelle et médiatique parisienne. Ahmed Bensaada a définitivement clos le sujet, en mettant kamel Daoud à nu, dans son essai Cologne, contre-enquête publié aux éditions Frantz Fanon en juin 2016. D’ailleurs, Kamel Daoud n’est pas le seul intellectuel à avoir été ciblé par Ahmed Bensada dans cet essai-dévoilement. Ce sont tous ces intellectuels nord-africains qui ont élu domicile sur la rive gauche, et qu’il qualifie de bons supplétifs des intellectuels néoconservateurs et néocolonialistes de la pensée, qui dominent la place médiatique française. A l’image des harkis pendant la guerre de libération nationale, ces supplétifs d’un genre nouveau, ont pour tâche de constituer une caution alibi pour légitimer et renforcer le discours néocolonialiste dans la dynamique de cette nouvelle croisade du « choc des civilisations. »
Ce qui nous intéresse donc, ici, en premier, c’est la déclaration qu’Emanuel Macron avait lancé comme un pavé dans une grande mare sans fond, celle dans laquelle il qualifia la colonisation française de «crime contre l’humanité». C’était pendant un moment de sa campagne électorale, où chaque geste, chaque mot est pesé et réfléchit autant de fois de sorte à éliminer toute potentialité d’erreur qui lui aurait été fatale et l’empêcher d’accéder à la fonction suprême de la présidence de la République. Rien n’était donc entrepris au hasard. Non pas qu’il fut surpris d’avoir été pris au mot et à la lettre et même au ton solennel de son énonciation par une partie importante de ses compatriotes dans une réaction hostile à sa déclaration, mais il s’y attendait, certainement, fermement. La marche arrière qu’il fit alors sitôt, en reformulant sa déclaration sur un ton plus accommodant, n’était certainement que la suite prévue dans son plan de campagne. La première chose qui vient à l’esprit, c’est que cette déclaration n’avait été prononcée que par calcul électoral, en pensant probablement capter les voix des électeurs originaires des anciennes colonies, et ils sont nombreux, et qui peuvent faire basculer une élection d’un côté comme de l’autre au grès des campagnes électorales et des lignes idéologiques des uns et des autres candidats. Ceci démontre combien une partie importante de français vivent encore avec l’esprit de ce qu’on appelait autrefois la grande France, l’empire colonial. Ceux-là même qui au plus haut niveau de l’état entretiennent et veillent sur une certaine forme de néocolonialisme aujourd’hui. Puisque sa déclaration n’avait donc rien de sincère, il ne s’agissait en fait que d’un effet d’annonce qui était destiné à être très tôt oublié, et qui n’aurait eu aucun impact significatif sur l’attitude de la France envers ses anciennes colonies. Loin de là à penser un instant qu’elle aurait pu mette fin à l’attitude nostalgique de cette grande France, et sur la persistance de l’idéologie néocolonialiste qui domine la scène politique française. Au final, l’objectif voulu, c’était l’effet d’annonce, qui aurait suffi à capter l’attention de la masse des électeurs originaires des anciennes colonies, comme une publicité capte inconsciemment le désir de consommation du produit ciblé. Sachant pertinemment que cette frange des électeurs n’était pas en mesure de le blâmer d’avoir fait volte-face, alors que la sanction de ceux qui étaient hostiles à sa déclaration lui aurait été fatale s’il avait persisté dans sa dénonciation du crime colonial, sachant que ces derniers sont plus puissants et plus nombreux à pouvoir la mettre en application.
A ce propos, Kamel Daoud déclare «Je voulais saluer le courage de la déclaration mais sans pour autant m’enfermer dans le rôle du décolonisé qui ne fait que ressasser sa mémoire coloniale et attendre des excuses. Je voulais à la fois honorer le passé et affirmer ma liberté vis-à-vis de lui.»
Kamel Daoud ne se préoccupe même pas de la sincérité ou non de cette déclaration, il se contente de sa réception comme argent comptant, en jouant son rôle qui lui est assigné à la perfection, celui du bon supplétif, crédule, qui ne doute pas un instant de la bonne foi de son maître : «Honorer le passé… en saluant le courage de la déclaration… ». Faire d’une pierre deux coups, duper ses lecteurs et affirmer sa servitude à ses mécènes. Il anticipe même leur ruse rhétorique par le truchement de cet effet d’annonce : «Mais sans pour autant m’enfermer dans le rôle du décolonisé qui ne fait que ressasser sa mémoire coloniale et attendre des excuses.» C’est toute la démarche de reconnaissance du crime qui est remise en question, en insistant sur son inutilité, allant jusqu’à la culpabilisation de la victime à vouloir rétablir la vérité du crime avec insistance. Par l’affirmation de sa liberté vis-à-vis du passé, Kamel Daoud dissimule mal sa posture d’indifférence vis-à-vis de ce crime, une précaution nécessaire pour rendre son discours crédible vis-à-vis de ses lecteurs, en même temps de rassurer ses mécènes. C’est une figure de style à laquelle on reconnait un texte de Kamel Daoud à la première ligne de lecture.
Alors que la reconnaissance du crime colonial, en plus de permettre le rétablissement de la vérité sur ce moment tragique de l’histoire entre deux peuples, qui leur permettra de partager une mémoire commune, elle constitue en même temps un gage de bonne foi sur l’entreprise de décolonisation totale. Elle est surtout le gage du départ d’une nouvelle relation, ancien colonisateur-ancien colonisé affranchi, basée sur le respect mutuel et une solidarité sans failles. Pour que la demande de reconnaissance du crime colonial et des excuses qui la rendent effective soient un enfermement dans la mémoire, il aurait fallu que ces demandes soient une fin en soi accompagnées d’une rupture totale de la relation ancien colonisateur-ancien colonisé affranchi. Or, cela relève de l’impossible, voire de l’absurde. La relation entre les deux peuples est tellement imbriquée en termes de déplacements sur leurs sols respectifs, de métissage et de partage de valeurs à un point que si l’ancien colonisé voudrait s’enfermer réellement dans sa mémoire, il lui faudra opérer une véritable épuration ethnique et culturelle. Ce qui ramènera ce peuple en deçà de la civilisation. C’est justement cette image de l’ancien colonisé, celle qui est en deçà de la civilisation que Kamel Daoud caricature dans chacun de ses écrits en rapport à cette problématique.
On est tenté pourtant d’inverser les places dans cette relation si l’on considère que c’est celui qui refuse le rétablissement de la vérité historique sur les différents entre ces deux peuples qui s’enferme d’emblée dans une image de soi magnifiée et narcissique. Celle de la mémoire de la grande France, au temps de l’empire, qui est sacralisée et considérée comme éternelle. Une posture décalée par rapport au cours de l’histoire, et donc, ce serait elle plutôt qui est réellement en deçà de la civilisation. C’est là où réside toute la posture néocoloniale : refuser la reconnaissance du crime pour le faire perdurer et perpétuer la domination et le pillage des richesses. Ainsi, l’ancien colonisé dans son insistance à demander la reconnaissance du crime, demande implicitement à l’ancien colonisateur de cesser sa nouvelle forme de domination néocoloniale.
Voilà comment le discours de Kamel Daoud ne peut-être celui du décolonisé qui veut s’affranchir de sa mémoire, comme il le prétend, pour duper ses lecteurs, mais celui d’un supplétif au service du discours néocolonial. Car, si réellement c’était le cas, il aurait commencé d’abord par s’affranchir du discours de son dominateur, le discours néocolonial.
Encore une fois, pour tromper ses lecteurs, il prétend vivre en Algérie, et ne rate aucune occasion pour le crier tout haut. Même sur le papier qu’il publia sur le New York Times, et qui est discuté ici, il n’hésitera pas de le signer en précisant le lieu : Oran, Algérie. Alors qu’en vérité, il bénéficie d’un titre français de séjour visiteur. Statut accordé aux nantis financièrement et aux personnes se trouvant dans son cas et qui équivaut à un titre de résident permanent. C’est une précision de taille pour mieux comprendre la personnalité troublée qu’est cet individu hors du commun.
Y. B.
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