La goutte d’essence qui a mis en branle le moteur de la révolte sociale en France
Par Mesloub Khider – «Leur pédagogie, c’est nous parler comme à des enfants de 5 ans» (un Gilet jaune).
En 1914, la bourgeoisie colonialiste impérialiste française, pour justifier le déclenchement de la guerre (contre ses prolétaires envoyés à la mort ou transformés en soldats salariés exploités dans les usines œuvrant au service de la guerre), excipait de l’argument de la défense de la civilisation contre la barbarie allemande. De l’union sacrée pour sauver la France.
Gouvernement Macron, succursale du capital financier mondial
Quatre ans durant, le peuple français a dû payer l’impôt du sang et le sacrifice de ses conditions de vie pour sauver la patrie en danger. Pour que, au final, ces mêmes dirigeants capitalistes prétendument ennemis signent l’armistice le 11 novembre 1918 afin d’unir leurs forces armées contre le nouveau danger qui pèse sur l’humanité : la nouvelle république soviétique.
Moins d’une décennie plus tard, cette même France colonialiste enrôlait sa population dans une propagande antihitlérienne, par une campagne nationaliste chauvine destinée à souder le peuple derrière sa classe dirigeante, pour finir par s’allier au régime allemand dans une politique de totale soumission au projet expansionniste et exterminateur nazi. La classe dirigeante française se drape toujours derrière l’intérêt national pour légitimer ses pires turpitudes, ses politiques criminelles, ses mesures antisociales. Le peuple a toujours payé un lourd tribut en se mettant derrière le char de son Etat, en se compromettant dans une union interclassiste supervisée par les classes dirigeantes.
Aujourd’hui, après avoir, des décennies durant, encensé l’usage du carburant diesel jugé plus économique et écologique, le lobby de l’industrie de l’automobile, pour résoudre la crise du secteur automobile fortement saturé, invente l’alibi écologique en vue de contraindre les travailleurs de renouveler le parc automobile par l’acquisition de nouveaux véhicules réputés «écologiques».
Force est de constater que, en l’absence d’un réseau de transport en commun public, délibérément sous-développé pour permettre aux industriels de l’automobile d’écouler leurs cercueils ambulants, la voiture est devenue de nos jours un moyen de déplacement indispensable. Particulièrement à notre époque aberrante où le lieu du travail s’est incroyablement éloigné du domicile de chaque travailleur, contraint par ailleurs de payer chèrement son trajet pour se rendre sur son lieu d’exploitation. C’est le summum de l’aliénation.
De toute évidence, le gouvernement Macron, succursale du capital financier mondial, s’est allié à cette mafia de l’industrie de l’automobile pour promulguer des mesures d’accompagnement «à la transition énergétique». L’invocation de l’alibi écologique n’est pas innocente. Elle vise à culpabiliser tous les citoyens en vue de les persuader d’accepter les multiples taxes décrétées par le gouvernement Macron. Elle permet aussi de justifier l’obligation de renouveler le parc automobile français, pour le grand bénéfice du capital en crise. Au vrai, cet alibi écologique est une imposture. Car le capitalisme pollue plus gravement avec ses industries de guerre, ses avions, ses bateaux, ses fusées. De surcroît, si risque écologique il y a, il concerne toute la planète et non pas seulement la minuscule France. Et le principal responsable de la pollution est la bourgeoisie, avec ses industries destructrices, sans oublier ses nombreuses guerres «pétrolières».
Au reste, depuis trente ans, sur fond d’une écologie apocalyptique, les climatologues au service du capital, pour justifier leurs exorbitants salaires, nous alarment constamment avec leurs rapports catastrophistes. Ces propagandistes ont intégré l’idéologie écologiste apocalyptique pour détourner l’attention du peuple de la véritable catastrophe qui s’abat sur lui : la dégradation générale et planétaire de ses conditions de vie. Avec ses fables sur le réchauffement climatique, le capital invente chaque jour de nouveaux dérèglements stratosphériques pour nous imposer de nouvelles règlementations fiscales. D’où ces rackets financiers opérés aujourd’hui par le pouvoir mafieux macronien au nom de la prétendue sauvegarde de la planète.
Enième mesure de racket : la taxe sur le carburant
Ainsi, la machiavélique classe bourgeoise use de l’alibi écologique non seulement pour dévoyer le peuple sur des luttes stériles, en lui faisant payer l’impôt écologique, mais aussi pour le déposséder de son projet d’émancipation sociale (affranchissement de l’humanité de l’exploitation capitaliste, cessation des guerres, arrêt de la destruction de la nature opérée par les industriels et non pas le peuple).
En France, le nouveau pouvoir mercenaire macronien, sous le fallacieux prétexte de la sauvegarde de la planète, a pris des mesures pour accroître considérablement diverses taxes, et particulièrement la taxe sur le carburant. Cette dernière décision a provoqué une véritable levée de boucliers au sein du peuple français. Aussitôt, spontanément, grâce aux réseaux sociaux, de multiples citoyens (ouvriers, chômeurs, retraités, lycéens, professeurs, cadres, artisans, etc.) ont décidé de lutter contre cette énième mesure de racket. En dehors des structures bourgeoises d’encadrement traditionnel politique et syndical, ces travailleurs précarisés et prolétarisés se sont résolus à passer à l’action le 17 novembre 2018 par le blocage total des routes pour paralyser l’économie, et ainsi faire reculer le gouvernement Macron.
Contrairement aux mouvements petits bourgeois «Nuit debout» ou autres manifestations sociétales habituelles, amateurs des discussions politiciennes, ce prolétariat misérable du 21e siècle a placé d’emblée son combat sur le terrain de la lutte directe (la praxis). En dépit de ses imperfections, de ses insuffisances, de son «amateurisme», ce mouvement de masse, soutenu par plus de 80% de la population, a su s’imposer juste par la force de sa détermination de lutte exemplaire. Par son courageux combat inébranlable, il force le respect. Aujourd’hui, à travers le monde entier, à l’instar du chauvin méprisable mot d’ordre de guerre impérialiste française «Je suis Charlie», tous les prolétaires peuvent s’écrier : Je suis Gilet jaune, mot d’ordre de ralliement et de lutte internationaliste contre le capitalisme.
Ce mouvement, ni syndicalement corporatif ni politiquement captif, par son caractère spontané, constitue le premier événement de classe du 21e siècle. Réfractaire à l’alibi écologique, comme ses devanciers révolutionnaires en 1914, indociles au mot d’ordre de l’union nationale, l’alibi du sacrifice pour la patrie en danger, ce mouvement refuse de s’acquitter de l’impôt de l’indignité. En dépit de la propagande étatique et médiatique (c’est un pléonasme), les Gilets jaunes sont descendus massivement dans l’arène du combat le 17 novembre 2018. Résultat : plus de 300 000 Gilets jaunes ont occupé, à travers la France, des lieux stratégiques pour exprimer leur colère, pour paralyser le pays : plus de 2 000 rassemblements et blocages de raffineries et approvisionnement des supermarchés, péage gratuit aux entrées d’autoroute.
Au-delà de la dénonciation de l’augmentation des carburants, ces manifestants ont exprimé une colère plus large, portant notamment sur l’accroissement de la CSG, la baisse des pensions et, de manière générale, contre toutes les attaques menées par Macron depuis son intronisation au palais de l’Elysée.
A l’évidence, face aux protestations des Gilets jaunes, l’Etat macronien n’est pas disposé à céder. Bien qu’en mauvaise posture, Macron est résolu à imposer ses mesures antisociales. Il est fermement déterminé à ne pas s’incliner devant les manifestations de protestations, en dépit du risque insurrectionnel de la lutte des Gilets jaunes. Sa fermeté s’explique non par son inébranlable volonté due à sa stature de président inflexible, mais par sa soumission aux exigences de la mafia du capital européen.
Cette posture est un aveu de faiblesse de la bourgeoisie française. Dans une de mes notes personnelles rédigée au lendemain de l’élection de Macron à la présidence, j’avais écrit que le capital français s’est tiré en vrai une balle dans les pieds. En misant sur ce cheval (en vérité un canasson), au prix de la destruction du paysage politique classique bipartite traditionnel animé par la droite et la gauche depuis plus d’un demi-siècle, pour mener une véritable guerre sociale contre les travailleurs, le capital français s’est grandement fourvoyé dans un projet politique irresponsable. En effet, Macron, ce mercenaire du capital, allait lamentablement rater sa politique antisociale devant la résistance du peuple travailleur de France. La France n’est pas la Grèce. Le peuple français n’est pas semblable aux Grecs. Les travailleurs français ne vont pas se laisser tondre la toison sociale chèrement acquise sans se révolter. La France a une longue tradition de luttes sociales salvatrices. De révoltes politiques salutaires. De révolutions triomphantes.
Insécurité sociale, le véritable terrorisme d’Etat
Aujourd’hui, Le roi Macron est nu. Et le peuple français résolu à décapiter sa politique antisociale. Macron est totalement décrédibilisé, disqualifié. Ses jours sont comptés. Son éviction est imminente. Le capital financier qui l’a placé au pouvoir s’apprête à le déloger, le limoger. Car, en l’espace d’un an de gouvernance, il s’est aliéné tout le peuple français. Il a acculé, par son irresponsable arrogance, tout le peuple français à la révolte. La France est en ébullition. La Révolution frappe de nouveau à la porte de la France. Le pouvoir est sur le point d’être pris d’assaut par le peuple. De surcroît, par la destruction des partis politiques traditionnels, aucune formation n’est aujourd’hui en mesure de suppléer à la vacance imminente de l’Etat. Désormais, l’arène politique met aux prises directement le peuple face au pouvoir, sans partis médiateurs.
A présent, le peuple réclame la démission de Macron. Et ce n’est certainement pas pour le remplacer par un autre cacique du pouvoir, un politicien corrompu incapable d’apporter la moindre amélioration des conditions de vie des travailleurs dans le cadre du maintien du capitalisme.
Au demeurant, ce mouvement de masse a connu sa première martyre le samedi matin 17 novembre 2018, dès la première heure des blocages. En effet, par la faute du terrorisme social étatique macronien, Chantal Mazet, une femme retraitée, est décédée sous les roues d’un 4/4 conduit par une bourgeoise résolue à franchir le barrage dressé sur la route, quitte à passer sur le corps d’un Gilet jaune : à l’instar du terroriste social macronien déterminé à sacrifier les corps des prolétaires par des mesures de paupérisation massive dignes du 19e siècle.
En fait, le véritable terrorisme est perpétré quotidiennement par l’Etat français, par sa politique d’insécurité sociale infligée à l’ensemble des classes populaires réduites à vivre dans la peur de l’explosion de leurs conditions d’existence de plus en plus attaquées par le capital terroriste social assoiffé d’accumulation financière. De fait, le terrorisme social sévit dans tous les pays. Il est plus dangereux et criminel que le terrorisme résiduel monté en épingle par les pouvoirs établis pour justifier l’encadrement policier des classes populaires, la criminalisation de leurs luttes. Chaque prolétaire est aujourd’hui susceptible de voir sa vie exploser, dynamitée par les politiques terroristes antisociales imposées par les gouvernements, ces instances mafieuses œuvrant au service du capital mondial. Daech est un enfant de cœur devant le capital financier résolu à faire éclater nos conditions de vie, à nous terroriser par sa politique antisociale, à violer nos droits élémentaires de résistance par les répressions policières, voire bientôt militaires.
En conclusion, certes ce mouvement des Gilets jaunes est inorganisé, mais c’est ce qui fait sa force. Contrairement à la propagande médiatique, il n’est pas apolitique, mais consciencieusement antipolitique. La différence est de taille. Il est foncièrement opposé à tous les partis politiques traditionnels inféodés au pouvoir, de gauche comme de droite. Il en est de même des organisations politiques d’extrême-gauche et d’extrême-droite. En réalité, il récuse toutes les catégories politiques du mode de pensée bourgeoise respectueuse de l’ordre établi. Il se positionne d’emblée par-delà les préoccupations politiciennes et électoralistes mafieuses classiques. Il place sa lutte dans l’arène du combat de rues offensif, et non dans la perspective de la palabre au sein de l’hémicycle parlementaire inoffensif.
De sa capacité de coordination à l’échelle nationale, sur la base de la désignation de représentants éligibles et révocables, dépend sa réussite. De sa résolution d’étendre son combat par l’ouverture d’assemblées générales permettant à tout le peuple de venir débattre démocratiquement de ses projets d’émancipation humaine, découle son succès.
Jusqu’à présent, le mouvement des Gilets jaunes a compris la nécessité de combattre, mais n’a pas encore intégré l’utilité de débattre. Assurément, par crainte d’être récupéré par les spécialistes de la phraséologie, ces adeptes de l’idéologie (dominante). Mais surtout pour éviter de prêter le flanc aux discussions abstraites sur les mesures écologiques et autres billevesées politiciennes. Le mouvement a pris conscience que l’heure est à la transformation sociale, et non aux mesures cosmétiques. Les maquilleurs de la réalité sociale doivent se farder la figure de honte devant ce mouvement résolu à démasquer ces faussaires de la politique, ces fraudeurs de la vérité.
Pour conclure, lors de la manifestation du samedi 24 novembre organisée sur les Champs Elysées, les Gilets jaunes ont subi un tombereau de calomnies de la part du gouvernement et des médias inféodés tous au pouvoir macronien. Le gouvernement a tenté de décrédibiliser les manifestants par des accusations de manipulation opérée soi-disant par l’«ultra droite» ; les journalistes ont, quant à eux, de manière éhontée, toute la journée, déversé leur haine sur les manifestants accusés d’être des «casseurs».
Les véritables casseurs… de vie sont le gouvernement de Macron et ses mesures antisociales. Aux yeux de ces journalistes parasites bourgeois, briser une vitre d’un restaurant de l’avenue des Champs Elysées où ils se restaurent régulièrement en compagnie de leurs amis les politiciens, est plus grave que de briser la vie des millions de travailleurs réduits, eux, à manger aux Restaurants du Cœur, par la faute de la politique de terrorisme antisocial imposée par le pouvoir de Macron.
«Quiconque attend une révolution sociale «pure» ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. (…) La révolution socialiste (en Europe) ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement : sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible. Et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme.». Lénine en 1916.
M. K.
* Les intertitres sont de la rédaction
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