Colonisateur colonisé
Par Akram Chorfi – Qu’est-ce qui pousse le Maroc à s’accrocher de façon morbide à un territoire qui ne lui appartient ni historiquement, ni humainement, ni politiquement, en l’occurrence le Sahara Occidental, et qu’est-ce qui l’empêche de revendiquer un territoire qui lui appartient en toute légitimité, historiquement, géographiquement, humainement et dans tous les sens ?
Le territoire non revendiqué par le royaume chérifien est représenté par les deux villes de Ceuta et Melilla dont l’Espagne a si bien digéré l’accaparement que le terme pour les qualifier est à ce titre très significatif : enclaves espagnoles.
C’est, entre autres compromissions, pour cette raison essentielle que l’Espagne officielle – contrairement aux consciences libres en Espagne – soutient le projet colonial du Maroc sur les territoires sahraouis occupés.
Est-il pour autant réciproquement vrai que le Maroc se laisse volontairement spolier d’une partie de son territoire littoral, au cœur du royaume, de surcroît peuplé plus de Marocains que d’Espagnols, en échange de ce soutien espagnol aux dépens de la cause juste des Sahraouis ? Rien n’est moins sûr.
Il y aurait, en fait, à cela deux raisons qui avaient déjà eu leur argumentaire étrange dans l’esprit de feu Hassan II qui en a fait le legs à son fils et successeur Mohammed VI, à savoir, au titre de première raison, qu’en maintenant l’Espagne sur la rive sud de la Méditerranée, en territoire marocain, c’est en fait le Maroc qu’on garde «férocement» arrimé à cette Europe vers laquelle tant de Maures rêvent de jeter des passerelles pérennes. Une façon, pour les souverains chérifiens, de sacrifier leur souveraineté territoriale sur l’autel de leurs rêves les plus fous.
Au titre de seconde raison, le Maroc trouverait dans les deux enclaves espagnoles une rampe de lancement providentielle pour un trafic de drogue fort lucratif vers l’Europe, sachant qu’en dépit de leurs statuts spécifiques, les deux enclaves sont tout de même «espagnoles» et donc aussi européennes.
Quant à la volonté marocaine d’accaparer le Sahara Occidental, rien ne peut la justifier, hier comme aujourd’hui, sinon une survivance de cet archaïsme anachronique propre aux monarchies absolutistes qui consiste à croire que le colonialisme est toujours à la mode. N’est-ce pas pour cette raison que le Maroc accepte d’être un colonisateur colonisé ?
A. C.
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