Interview – Jacob Cohen : «Il y a une caste d’intouchables en France»
Algeriepatriotique : Des milliers de Gilets jaunes, des Français en colère contre la politique du président Macron, bloquent les routes et autoroutes à travers toute la France depuis quelques jours. Que se passe-t-il au juste ?
Jacob Cohen : La France s’est engagée depuis 1983 avec Mitterrand dans la voie du libéralisme économique avec des privatisations tous azimuts, la destruction des industries nationales, la déconnexion du pouvoir d’achat avec l’inflation. Auparavant, en 1973, la loi Pompidou-Rothschild a obligé l’Etat français à emprunter auprès des banques privées, créant en 50 ans une dette artificielle de 2 000 milliards. En 2008, le gouvernement a «sauvé» les banques avec des centaines de milliards. A cause de la politique ultralibérale de l’Union européenne, les multinationales ne paient quasiment pas d’impôts à cause de l’optimisation fiscale. La France, la gauche comme la droite, a détruit une bonne partie des services publics (transports, postes, écoles, hôpitaux, administrations, tribunaux) hors des grandes villes. Le résultat : une paupérisation accrue, un matraquage fiscal, des inégalités insupportables. Les gens n’en peuvent plus. Beaucoup ont du mal à payer une facture d’électricité ou de gaz. Alors, il y a eu un ras-le-bol avec une énième taxe sur l’essence pour une soi-disant «transition écologique». D’où cette révolte.
D’aucuns estiment que ces nouvelles taxes sur les carburants sont une réforme fiscale qui va à l’encontre des classes modestes alors que les plus riches voient leurs impôts baisser…
Les gens modestes qui vivent dans les villes moyennes ou dans les campagnes sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler ou pour les démarches administratives ou pour les soins, souvent sur des dizaines de kilomètres. Ajoutez à cela les milliers de radars, souvent mobiles ou cachés, pour rançonner les automobilistes. Pendant ce temps, les cadeaux fiscaux aux patrons, aux actionnaires et aux plus fortunés (réforme de l’impôt sur la fortune) ainsi que les rémunérations abusives et autres avantages accordés à l’establishment politique et administratif créent une caste de privilégiés arrogants et intouchables.
L’ancien chef d’état-major de l’armée française, Pierre De Villiers, affirme qu’il y a un «gros risque d’explosion» en France. Etes-vous du même avis ?
Même si le mouvement des Gilets jaunes paraît déterminé et profondément ancré, je miserai peu sur un gros risque d’explosion généralisée. D’abord, le gouvernement ne changera pas de politique. Quand bien même il le voudrait, il ne le pourrait pas. Il est tenu par une dette colossale et par la politique de l’Union européenne. La classe politique française est déconnectée de la réalité et n’a qu’un seul maître : le capitalisme mondial. Tout au plus, Macron annoncera quelques «mesurettes» pour montrer sa bonne volonté. Le gouvernement tablera sur l’usure et la fatigue et le ressentiment qui pourra toucher les commerçants et tous ceux qui préparent les fêtes de fin d’année. Sans compter l’arsenal répressif. Des Gilets jaunes ont été condamnés à des peines de prison ferme pour entraves ou dégradations. Il y a une campagne médiatique (tous les grands médias appartiennent à des capitaux privés ou sont grassement subventionnés par l’argent public) sournoise et hargneuse pour dénigrer les Gilets jaunes, les présenter comme archaïques, manipulés par l’extrême-droite, populistes, voire antisémites. Même les syndicats officiels, qui vivent très bien des largesses gouvernementales et patronales, voient d’un mauvais œil cette révolte spontanée qui échappe à leur contrôle.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
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