Comment un pays européen a réussi à se prémunir du terrorisme islamiste
De Rome, Mourad Rouighi – S’il y a une question qui taraude l’esprit de nombreux Italiens, au vu de l’actualité tumultueuse récente, c’est bien celle-ci : qu’est-ce qui fait que l’Italie, pourtant très exposée sur le plan géographique, soit un des rares grands pays de l’Occident à avoir échappé à la déferlante terroriste et à être épargnée par l’internationale djihadiste ?
Et c’est en partie pour répondre à ce genre d’interrogations que le Sénat italien a accueilli ce lundi un colloque sur ce véritable fléau des temps modernes, voulu et organisé par la fondation Magna Carta et réunissant des experts de premier plan qui ont évalué les thèmes touchant à cette question, autour de trois lignes directrices : les raisons de l’exception italienne, l’apport des programmes de déradicalisation dans la lutte contre ce danger global et, enfin, l’impératif de concilier sécurité collective et droit à préserver les libertés individuelles des citoyens.
Car, et c’est le président de Magna Carta lui-même, le sénateur Gaetano Quagliariello, qui le rappelle, ce pays qui atteint ce degré d’efficacité dans la prévention a néanmoins vu transiter les auteurs des attentats de Paris et de Bruxelles, tandis qu’Anis Amri, le Tunisien auteur de la tuerie de Berlin, a été abattu en plein Milan.
De fait, la plupart des intervenants, et particulièrement le représentant du Conseil italien pour les réfugiés, Francesco Di Giorgi, s’accordent à souligner que l’erreur à ne pas commettre est, avant tout, d’associer immigration et terrorisme car les attaques qui se sont faites au fil des ans des plus imprévisibles sont l’œuvre de personnes qui se radicalisent en très peu de temps, souvent à travers les réseaux sociaux ou Internet ou pour des problèmes d’ordre psychique. D’où la nécessité d’éviter toute culpabilisation aussi hâtive que collective.
Certes, l’Italie a pu développer au cours des années, en se confrontant au crime organisé et à la lutte armée de certaines formations politiques durant les années 1970, une particulière sensibilité dans l’ébauche de modèles de lutte et de prévention, parant à ce risque à travers le contrôle strict du territoire et la compétence spécifique des forces de police et des institutions de renseignement.
Mais cette spécificité toute italienne a pu également intégrer en son sein des sections spécialisées dans l’analyse et la gestion du terrorisme fondamentaliste, plus adaptées à ces nouveaux paradigmes.
Par ailleurs, les structures italiennes de prévention ont de tout temps agi en étroite collaboration avec les autres forces de police dans le cadre des activités du comité d’analyse stratégique antiterroriste. C’est précisément ce mix d’apports qui a permis à ce pays de déjouer les tentatives les plus hardies des groupes terroristes, maintenant au passage un profil bas, la préservant d’un excès de confiance et d’autosatisfaction, le tout en mettant à profit la coopération de ses services avec les renseignements de divers pays de la région, face à un phénomène qui se développe aujourd’hui sur une échelle globale, exigeant a fortiori la récolte d’informations sur tous les plans et à tous les niveaux.
Pour ce qui est de la législation dans ce domaine, Augusta Lannini s’est dite convaincue que les autorités italiennes sont parfaitement dans l’ordre d’idées de devoir ajourner certaines lois actuellement en vigueur et de les adapter aux donnes d’un crime organisé et de mouvements terroristes en évolution constante. Il est pour autant nécessaire, selon cette juriste, de hâter l’adaptation au contexte actuel de la structure et des instruments traditionnels de la coopération judiciaire, assurant l’accès à l’information et notamment au cours des enquêtes préliminaires, tout en préservant les libertés individuelles du citoyen.
Autre chapitre abordé par ce colloque, celui des programmes de déradicalisation, essentielles dans le domaine de la prévention, qui sont monnaie courante en Europe, que l’Italie a lancés depuis 2014 et qui ont permis de réintégrer des centaines de jeunes tentés par la propagande djihadiste et de limiter les risques de contagion ciblant certaines communautés résidentes en Italie, le tout sur fond de déstabilisation généralisée en Méditerranée et de déferlante des migrants.
Un vaste chantier de réflexion en perspective qui exige autant de détermination que de capacité d’adaptation.
Une chose est sûre et ce colloque s’est attelé à le réaffirmer, si le terrorisme est trop complexe pour le cerner autour d’une définition valable pour tous les contextes, la guerre que mène la communauté des nations contre ce fléau a besoin d’intégrer et d’intérioriser des notions décisives, telles que justice et transparence, pour réussir ce défi sans précédent.
M. R.
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