Des citoyens à l’architecte Jean Nouvel : «Abandonnez le projet de restauration de La Casbah !»
Par Lina S. – Plus de 400 citoyens algériens et français ont écrit une lettre ouverte à Jean Nouvel suite à la convention tripartite que celui-ci a signée avec la wilaya d’Alger et la région Ile-de-France pour restaurer La Casbah.
«Nous sommes beaucoup à avoir été choqués en apprenant qu’une convention tripartite avait été signée entre la wilaya d’Alger, la région Ile-de-France et vos ateliers afin de, nous dit-on, revitaliser La Casbah d’Alger – étymologiquement, revitaliser implique redonner de la vie, ce qui nous permet de nous demander si la vie, pourtant vibrante, qui caractérise aujourd’hui les rues sinueuses de ce quartier, n’est pas digne d’être considérée comme telle», écrivent les signataires de la lettre.
«La Casbah d’Alger, pour nous, bien avant d’appartenir à l’humanité – celle dont on nous dit qu’elle possède un patrimoine mondial – appartient d’abord à ses habitants, qu’ils possèdent un titre de propriété ou non, ensuite aux Algériens dont la lutte révolutionnaire contre le colonialisme français a régulièrement pris appui sur sa capitale, et en particulier sa Casbah, et enfin aux militants anticoloniaux (…) tant La Casbah, par son urbanisme et son architecture, incarne un symbole puissant des luttes de ceux et celles qui ne peuvent mettre à profit que leur passion et leur environnement face aux forces asymétriques que leur opposent les armées et polices coloniales», soulignent les signataires.
La lettre rappelle à Jean Nouvel que les Français ont «déjà partiellement détruit [La Casbah] trois fois», estimant que «toute modification de La Casbah qui ne viendrait pas directement de ses habitants doit ainsi faire preuve d’une connaissance et d’un respect sans faille de son passé et de son présent, bien au-delà des instructions que la wilaya d’Alger puisse elle-même fournir ou comprendre».
Pour les signataires des deux rives de la Méditerranée, «des projets qui n’auraient pas à cœur de servir en premier lieu ses habitants ainsi que le legs historique, politique et culturel de cette ville dans la ville, et qui leur préféreraient des ambitions touristiques ou financières, ne sont pas dignes de ce lieu de vie et d’histoire».
Pour les signataires de la lettre, l’objet de l’accord tripartite est «déconnecté des préoccupations quotidiennes des habitants» de La Casbah. «De même, le déblocage d’un budget stupéfiant pour financer cette étude ne peut que contraster avec le peu de moyens criant que le tissu associatif de La Casbah affronte au jour le jour dans ses initiatives», dénoncent-ils.
Les signataires accusent Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, de prendre des décisions «inégalitaires [qui] pèsent chaque jour un peu plus sur les résidents précarisés de la métropole parisienne et, plus grave, d’adopter des actions et un discours qui ont des «liens (…) avec l’histoire coloniale française et sa continuation sous d’autres formes».
Les 400 signataires, parmi lesquels des architectes, des historiens, des universitaires et des artistes, lancent un appel à l’architecte Jean Nouvel pour qu’il renonce à ce projet. «N’acceptez pas d’être complice d’une quatrième vague de transformation brutale française de La Casbah. Tout architecte se doit d’être complètement responsable des conditions et conséquences politiques des projets qu’il accepte, toute position qui ferait de lui un simple exécutant constituerait une insulte à sa fonction et à sa capacité d’agir», affirment-ils, en l’exhortant à se désister et à recommander à la wilaya d’Alger des architectes locaux «qui sauront problématiser ce projet de manière à préserver La Casbah et ce que celle-ci signifie, plutôt que de la contrôler et la modifier».
L. S.
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