L’ancien officier de la DGSE Alain Chouet se confie à Algeriepatriotique
L’ancien officier de la DGSE, le service des renseignements français, Alain Chouet, explique que le «qui tue qui ?» est le fait de la «bien-pensance bobo» qui «entend trouver des excuses absolutoires à toutes les transgressions et en priorité à celles qui rappellent le passé colonial de la France». Aussi, note-t-il, il lui fallait «trouver des excuses aux bandes d’assassins prédateurs» (les groupes islamistes armés, ndlr) et il fallait donc «reporter la faute sur ceux qui luttent contre eux», c’est-à-dire les services de sécurité algériens. Interview.
Algeriepatriotique : Comment avez-vous réagi à la fusillade terroriste de Strasbourg et ce qui s’en est suivi ?
Alain Chouet : Ce n’est pas aux Algériens que je vais apprendre comment on réagit à ce genre de tragédie. J’ai ressenti l’évènement avec d’autant plus de colère et de consternation que cela fait près de 30 ans que les services de sécurité, de police et de renseignement alertent inlassablement les politiques de tous bords sur la dérive criminelle de quartiers entiers du pays qui se sont transformés en zone de non-droit où ne peuvent entrer ni les services de sécurité, ni les pompiers, ni les services médicaux ou sociaux, et où se développent toutes les variétés de criminalité dont la violence salafiste n’est que l’un des aspects.
C’est bien aux services de sécurité de lutter contre les effets de cette criminalité mais c’est aux politiques d’en combattre les causes qui sont à la fois culturelles, éducatives, économiques et sociales. Et ces causes sont endogènes. A l’exception de la chevauchée tragique des djihadistes du 13 novembre 2015, les attentats réussis ou déjoués en France n’étaient pas le fait d’une armée étrangère spécifiquement formée, organisée et mandatée pour frapper la France dans un but stratégique ou tactique précis. Ils étaient le fait individuel ou groupusculaire de personnes issues de notre propre société, de notre propre environnement éducatif et social. Que des organisations activistes étrangères aient parfois revendiqué leurs actions par opportunisme parce qu’elles contribuent à isoler les musulmans pour mieux les dominer ne change rien à l’affaire. Le problème est d’abord chez nous.
A qui profite cet attentat dans ce contexte marqué par des troubles sociaux ? On parle de complot…
C’est une affirmation complotiste ridicule. Dans une démocratie comme la France, une telle manipulation ne tiendrait pas 24 heures. Et surtout il n’y a aucun rapport entre les deux phénomènes. Aucune tragédie, aucune catastrophe ne serait en mesure d’étouffer le mouvement des Gilets jaunes qui est tellement éparpillé, inorganisé, anarchique qu’aucun évènement extérieur ne peut en contrôler la dynamique. Et surtout pas un crime isolé qui ne peut que renforcer le mouvement de contestation avec le raisonnement «on paye de plus en plus d’impôts et on n’est même pas protégés».
L’attentat profite évidemment au courant djihadiste et l’Etat Islamique l’a revendiqué en attendant tout de même prudemment la confirmation de la mort de Chekkat pour ne pas s’exposer au risque que le terroriste capturé vivant se réclame d’une autre mouvance, comme l’avaient fait dans la confusion les frères Kouachi ou Amédy Coulibali, ou d’une autre motivation sans rapport avec le salafisme.
Tous les indices convergent vers une liquidation physique de l’auteur présumé de l’attentat de Strasbourg, comme c’était le cas avec Mohamed Merah, pourtant le GIGN et le GIPN pouvaient l’arrêter en vie et remonter la filière…
Notons d’abord que Chekatt a été repéré et intercepté par des éléments de la sécurité publique (ceux qui font la circulation aux carrefours) peu formés aux techniques de lutte armée. En second lieu, neutraliser un individu armé et résolu en ne faisant que le blesser n’est pas évident. On n’est pas au cinéma. L’atteindre aux jambes ne l’empêche pas de riposter, l’atteindre aux bras (en particulier celui qui tient l’arme) relève du tir d’élite. Dans l’urgence, ce sont évidemment le tronc et la tête qui constituent les cibles les plus évidentes et dont les atteintes sont en général létales.
Et en second lieu, en imaginant que des éléments des forces d’élite aient pu le neutraliser sans le tuer, quelle filière y avait-il à remonter ? Chekatt a agi seul, apparemment pour faire une «belle fin» alors qu’à 29 ans il allait être arrêté et condamné pour la 28e fois et que, selon la doctrine salafiste, une action brillante contre les «kou’fâr» (impies, ndlr) était réputée le laver de ses fautes, lui ouvrir les portes du Paradis et grandir sa réputation.
Les Français s’inquiètent de la montée de l’extrémisme en France qui n’a pu être jugulé par les différents gouvernements. A quoi cet échec est-il dû, selon vous ?
C’est un échec qui est essentiellement dû au déni et à la cécité des élites française qui, depuis leurs beaux quartiers parisiens, n’ont guère conscience des problèmes de «la France d’en bas», des quartiers défavorisés et des territoires à l’abandon. A cette ignorance s’ajoutent diverses formes de bien-pensance «bobo» qui confond le respect dû aux autres dans leur différence avec la tolérance et l’acceptation de toutes leurs dérives et de leurs transgressions.
C’est cette double inconscience qui a conduit nos responsables politiques de tous bords au cours des trente dernières années à ne vouloir voir aucune des dérives identitaires du pays. Ni celle des Français dits «de souche» vers une extrême droite repliée sur elle-même et agressive, ni celle d’une fraction d’immigrants de fraîche date séduits par le discours salafiste d’extrémistes politiques qui veulent éloigner les musulmans de toute tentation de liberté et de démocratie. Ce sont des tentations qui pourraient remettre en cause le statut de certaines théocraties et la domination morale et financière de certaines fractions dites fondamentalistes qui se drapent dans les oripeaux de la religion pour mieux asseoir leur influence.
Bien que le terrorisme frappe en France et en Europe en général, certains continuent de semer le doute sur les auteurs des massacres en Algérie dans les années 1990. Que vise cette désinformation qui dédouane les groupes islamistes armés ainsi innocentés par les zélateurs du «qui tue qui ?» ?
Ce sont deux époques et deux processus très différents mais qui reposent très exactement sur les mêmes dénis et la même ignorance qui ont conduit à tolérer en Europe le développement d’une violence hybride, associant criminalité de droit commun et fondamentalisme islamiste sur le modèle des maquis de Mustafa Bouyali dans l’Algérie des années 1980. La bien-pensance bobo entend trouver des excuses absolutoires à toutes les transgressions et en priorité à celles qui rappellent le passé colonial de la France. Donc, puisqu’il faut trouver des excuses aux bandes d’assassins prédateurs, il faut reporter la faute sur ceux qui luttent contre eux. D’où la question ignoble et imbécile.
Pensez-vous que cet attentat va affecter le mouvement des Gilets jaunes ?
Certainement pas. Le mouvement des Gilets jaunes se diluera sans doute du fait de la lassitude de ses militants, de son inorganisation, de ses revendications contradictoires, de l’exaspération de ceux qui en sont victimes, du froid de l’hiver, etc. Et il sera prêt à renaître au moindre faux pas du pouvoir. Mais, comme il a été dit plus haut, du fait de son inorganisation, de son éparpillement et de son absence de leader, il est insensible à ce qui peut frapper «les autres» qui ne sont pas sur le même rond-point ou sur le même barrage.
Le quinquennat du président français Macron se transforme en cauchemar pour lui et pour les Français. Macron pourrait-il démissionner, selon vous ?
Nous sommes effectivement entrés dans une période d’incertitudes et d’instabilité probablement durable. Ce n’est pas trop le style du président Macron de «lâcher prise» face à l’adversité, au contraire. D’autant qu’il a été élu démocratiquement et qu’on ne saurait avoir à changer de Président à chaque fois que 1 500 protestataires défilent sur les Champs Elysées.
De plus, si ce mouvement de contestation traduit un réel malaise à la fois économique, social et politique auquel il faudra trouver des réponses, la France n’est quand même pas au bord de la guerre civile. D’ailleurs, une guerre civile en France opposerait qui à qui ? Au plus fort de leur mobilisation, les Gilets jaunes réunissaient 250 000 personnes et moins de 30 000 aujourd’hui. Si cela peut occasionner des désordres insupportables, ce n’est pas suffisant pour faire s’effondrer un pays de 60 millions d’habitants.
Enfin, il est de l’intérêt de tous de considérer certaines revendications démagogiques et populistes des Gilets jaunes avec prudence. Ainsi, d’après les enquêtes les plus sérieuses, l’instauration d’un «référendum d’initiative citoyenne» – devenu le credo du mouvement – se traduirait immédiatement par le rétablissement de la peine de mort, l’expulsion de tous les immigrés en situation irrégulière, la déchéance de nationalité française et l’expulsion des binationaux qui ne renoncent pas à leur nationalité d’origine, etc. Il ne me semble pas que cela réponde aux attentes de la majorité des Français.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
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