Du référendum populaire
Par Kaddour Naïmi – Le mouvement des Gilets jaunes en France vient de remettre à l’ordre du jour l’idée de référendum d’initiative citoyenne (RIC). Examinons quelques aspects.
Objections et réponses
Objection 1. Avec ce genre de référendum , il suffirait qu’un chef d’Etat prenne une décision antipopulaire, et la voilà contestée, sinon lui-même comme chef d’Etat, par un référendum . Dès lors, c’est l’anarchie ! Comment gouverner dans ce cas ?
Réponse. Dans une réelle démocratie, un chef d’Etat ne peut pas prendre une décision antipopulaire. Pourquoi ? Parce qu’il a été élu par le peuple, précisément pour ne pas prendre de décision qui lèse les intérêts de ce peuple. Autrement, ce chef d’Etat ne représente plus les intérêts de ses électeurs. Il s’ensuit qu’un prétendant à la direction de l’Etat devrait savoir, en présentant sa candidature pour être élu par le peuple en tant que son représentant, ne devrait prendre aucune décision antipopulaire.
Objection 2. Elle fut ainsi présentée : «Enfin, il est de l’intérêt de tous de considérer certaines revendications démagogiques et populistes des Gilets jaunes avec prudence. Ainsi, d’après les enquêtes les plus sérieuses, l’instauration d’un « référendum d’initiative citoyenne » – devenu le credo du mouvement – se traduirait immédiatement par le rétablissement de la peine de mort, l’expulsion de tous les immigrés en situation irrégulière, la déchéance de nationalité française et l’expulsion des binationaux qui ne renoncent pas à leur nationalité d’origine, etc. Il ne me semble pas que cela réponde aux attentes de la majorité des Français.»(1)
Certes, ce genre de conséquences d’un référendum populaire ne sont pas positives. Mais le risque de les voir se concrétiser justifie-t-il le rejet du principe de référendum populaire ? Dans le cas où il y a risque de décisions néfastes, suite à un référendum populaire, plutôt que nier le droit au référendum populaire, ne s’agit-il pas d’engager le débat le plus démocratique, le plus profond, le plus large, le plus indispensable afin que le peuple qui s’apprête à voter lors d’un référendum prenne suffisamment conscience des enjeux et conséquences de son vote, afin de ne pas opter pour des actions néfastes ?
Si l’on doute de l’efficacité d’un tel débat, il s’ensuit deux conclusions : soit les citoyens les plus éclairés et les plus instruits sont incapables d’expliquer correctement leurs idées, soit le peuple est jugé trop stupide pour savoir quelles sont les bonnes décisions à prendre. Là, encore, si le peuple est dans cette situation d’ignorance de ses propres intérêts, à qui la faute ? Ne revient-elle pas aux conditions d’ignorance dans lesquelles est tenu ce peuple ? Qui donc a intérêt à tenir le peuple dans une telle ignorance sinon ceux qui en tirent profit ? Dès lors, les citoyens éclairés et instruits ne devraient-ils pas se donner la peine d’aider ce peuple à comprendre qui sont ses réels ennemis ? Il s’ensuit que rejeter le principe du référendum populaire par crainte de voir le peuple opter pour des décisions qui lèsent des droits humains, quelques soient ces derniers, est-ce respecter le droit du peuple à se prononcer ? Bien entendu, en parlant de droits humains, il ne s’agit pas de ceux consistant à exploiter économiquement, dominer politiquement et conditionner idéologiquement qui que ce soit.
En conclusion à cette série d’objections, oui, certes, un peuple peut prendre une décision qui lèse ses propres intérêts, ou ceux d’une minorité ethnique qui vit avec ce peuple, ou encore ceux d’un autre peuple. Ces risques justifient-ils la négation du droit au référendum populaire ? Non ! Ils nécessitent seulement l’instauration d’un débat pour éclairer le mieux possible le peuple quant à la nature des options, afin qu’elles satisfassent trois conditions : ne pas léser : 1) ce peuple lui-même ; 2) la minorité ethnique qui vit avec lui ; 3) un autre peuple (nous préciserons plus loin ce qui est entendu par «peuple»).
La réalité nous a montré l’existence de référendums qui ont concrétisé ces trois conditions, comme d’autres qui ont ignoré l’une ou deux des conditions ci-dessus citées. Dans le premier cas, citons le référendum sur l’indépendance de l’Algérie. Dans le second cas, citons un référendum en Suisse qui limitait l’immigration dans le pays. La réalité a également montré que le résultat d’un référendum populaire fut ignoré par l’oligarchie au pouvoir, par exemple le référendum français de 2015 sur la question européenne.
Majorité et peuple
Une autre objection consiste à déclarer ceci : ce ne sont pas 30 000 ou même 300 000 citoyens contestataires qui peuvent changer les décisions d’un gouvernement dans un pays de 60 millions d’habitants comme la France.
Effectivement. Raison pour laquelle est nécessaire le droit au recours à un référendum pour connaître si la majorité du peuple soutient ces manifestants contestataires.
L’expérience historique montre qu’en ce qui concerne la majorité, une majorité simple de 51% serait le minimum requis, une majorité des 2/3 serait plus significative, une majorité autour de 90% serait l’idéal. Car il s’agit, encore une fois, de ne pas léser des droits humains légitimes.
Or, comment définir ces droits légitimes ? La réponse rationnelle et éthique est simple : ne permettre aucune forme d’exploitation économique d’un être humain par un autre. Or, que signifie cette condition ? L’élimination de toute caste, de toute oligarchie exploiteuse.
C’est là, précisément et entièrement, que réside le problème ! C’est là que se trouve la résistance acharnée, l’opposition absolue au principe du référendum d’initiative citoyenne. En effet, il contient en germe l’élimination de toute caste, de toute oligarchie exploiteuse au détriment du peuple, de la majorité des citoyens. Et dire oligarchie, ce n’est pas entendre uniquement les capitalises détenteurs de moyens de production (financière, industrielle et idéologique), mais aussi cette couche parasitaire qui les sert par ses compétences intellectuelles (moyenne et petite bourgeoisies). Cette considération amène à préciser le contenu du terme «peuple» : il exclut toute personne qui, directement ou indirectement, jouit de privilèges au détriment de ses concitoyens. Cette définition est certes contestable : on objecterait qu’un magnat de la finance fait partie du peuple dont il partage la nationalité. Cependant, cette même définition restrictive a l’avantage d’éviter un emploi démagogique, opportuniste et manipulateur du mot «peuple». En effet, n’est-il pas risible, pour ne pas dire contraire à la raison, de considérer un Louis XVI ou un Emmanuel Macron, un Rothschild ou un Donald Trump comme faisant partie du peuple ? Par conséquent fait partie du peuple toute personne économiquement exploitée, d’une manière ou d’une autre, par une autre personne. Cette définition a l’avantage de ne commettre la grave et stratégique erreur de limiter cette catégorie d’exploités à la seule classe ouvrière.
Revenons au problème de la majorité. La détermination statistique numérique de la partie oligarchique (donc exploiteuse) et des éléments intellectuels qui en sont la courroie de transmission, cette détermination permet d’établir le pourcentage de majorité populaire justifiant au mieux le référendum. Car, il est évident que les membres de l’oligarchie et ses larbins d’une part sont contraires au principe même du référendum populaire (parce qu’il lèse leurs intérêts oligarchiques), et, d’autre part, au cas d’existence d’un référendum populaire, ils voteront certainement contre les décisions en faveur du peuple.
Démocratie et référendum populaire
L’expérience historique a désormais amplement montré, à moins d’être ignorant ou naïf, que les diverses formes du système dit démocratique libérale» (évitons l’imposture de l’appeler «libertaire») furent constitués pour permettre l’existence d’une oligarchie dominante capitaliste. Ses membres ont eu l’intelligence machiavélique d’établir un système où les membres de cette oligarchie jouissent de deux bénéfices.
D’une part, en possédant les moyens de production matérielle, ils détiennent la propriété des instances de conditionnement idéologique (presse, livres, films, musique, «loisirs», etc.) ; celles -ci permettent de vendre non seulement leurs marchandises (leurs «coca-cola» divers), mais, également, d’obtenir le consentement des exploités afin de voter contre leurs propres intérêts.
D’autre part, ces membres de l’oligarchie financent les campagnes électorales de telle manière que soient élus leurs larbins, comme gérants de l’Etat. Bien entendu, les larbins de ces derniers les présentent comme des «self made man», car il faut occulter aux yeux du peuple le lien de cause à effet, entre les oligarques et leurs représentants étatiques.
Dès lors, la démocratie réelle est vidée de son contenu authentique. Il s’ensuit que le principe du référendum d’initiative populaire peut être un moyen du peuple de remédier à cette récupération du système démocratique par l’oligarchie. De là, il devient évident que cette dernière (et ses larbins idéologiques-intellectuels) feront tout pour s’opposer à l’établissement de ce genre de référendum. Par conséquent, il faut se méfier de toute objection à l’existence d’un tel référendum, tout en veillant, cependant, à garantir le fait que tout référendum devrait satisfaire les trois conditions ci-dessus exposées.
Signalons, en passant, ce fait : «En 2000, la nouvelle Constitution [du Venezuela] est approuvée par référendum. Parmi les 350 articles de cette nouvelle charte suprême, 3 sont particulièrement inventifs.
L’article 72 : «Tous les mandats sont révocables par référendum, y compris celui du président de la République.»
L’article 73 : «Les projets de loi en discussion à l’Assemblée Nationale peuvent être soumis à un référendum populaire.»
L’article 74 : «Les lois peuvent être abrogées totalement ou partiellement par référendum populaire.»(2)
De toutes les considérations précédentes, il résulte que le principe du référendum d’initiative populaire est une idée fondamentale qui mérite d’être mise à l’ordre du jour le plus tôt possible et dans tous les pays. En voici la justification : «Vous, dirigeants de l’Etat, déclarez détenir votre légitimité du fait que vous nous représentez, nous, le peuple ! Soit ! Dès lors, nous, peuple, voulons l’instauration d’un référendum. Son but n’est pas de créer ce que certains appellent l’anarchie, mais de disposer d’un instrument de dissuasion. Il consiste à vous éviter, vous dirigeants étatiques, d’attenter à nos intérêts de peuple. Si, donc, vous n’avez aucune intention d’endommager nos intérêts de peuple, mais de les servir, comme vous le déclarez, alors vous devriez applaudir à l’existence d’un référendum d’initiative populaire. Si, encore, vous craignez que nous prenions de mauvaises décisions, instaurez le débat le plus libre dans tous les médias afin que nous comprenions nos erreurs. Si, néanmoins, vous persistez à nous refuser le droit au référendum, l’instauration de celui-ci devient alors une nécessité absolue pour défendre nos droits ! Et plus vous vous y opposez, plus vous révélez vos intentions contraires à nos intérêts de peuple, et plus nous devons défendre ce principe du référendum d’initiative populaire !»
K. N.
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