Contribution – Le gourdin politique de la loi 1905 pour contrôler l’islam en France
Par Abdallah Zekri – Le président de la République française rencontrera les responsables du CFCM le lundi 7 janvier 2019 pour échanger sur une modification éventuelle de la loi 1905 dite «Loi de séparation des églises et de l’Etat».
L’objectif véritable de cette réunion est de faire valider sa volonté de «contrôler» l’islam et les citoyens musulmans en France, en utilisant le «gourdin» politique de l’époque coloniale, habillé du «costume retaillé» de la loi de 1905 pour mieux lutter contre le radicalisme islamiste.
Cet objectif, affiché par le candidat à la dernière élection présidentielle, figure désormais comme une priorité du président de la République française, Emmanuel Macron. Cette priorité aurait pu susciter un grand intérêt pour l’ensemble de la France si elle n’avait pas visé la consécration d’une politique discriminatoire contre la composante musulmane française, forte de plusieurs millions de citoyens français.
Nous aurions aimé soutenir la décision du président de la République française si elle avait été présentée comme une opportunité de prendre enfin en compte, et loin de toutes «manigances néocoloniales», une véritable reconnaissance du culte musulman français au même titre que les autres cultes que l’Etat reconnaît, respecte et dont il assure, notamment, une grande partie du financement de leurs institutions et établissements privés d’enseignement confessionnel.
Même si nous estimons que le politique n’a pas à se mêler de questions religieuses en France, nous sommes disposés à discuter les propositions du gouvernement et plus particulièrement celles du ministre de l’Intérieur chargé des cultes, portant sur l’interdiction de financements étrangers, l’obligation pour les imams de parler français et d’être formés en France.
La réécriture souhaitée d’une partie de la loi de 1905, pour organiser le financement du culte musulman français, ne pourrait légitimement être perçue que comme discriminatoire si d’autres cultes français peuvent continuer à recevoir des dons et des aides financières, sous des formes légalement déguisées.
Pour que la sincérité politique du président Macron soit positivement perçue par les citoyens de confession musulmane, l’opportunité de réformer une partie de la loi de 1905 devrait leur octroyer de nouveaux droits au quotidien :
– L’autorisation de cimetières spécifiques sur l’ensemble du territoire national.
– La possibilité d’un contrôle strict de l’argent généré par le fonctionnement du marché ayant trait aux prescriptions alimentaires coraniques ainsi que les méthodes d’abattage rituel.
– Des congés spécifiques accordés lors des fêtes religieuses.
– Un programme d’enseignement du fait religieux musulman et de la langue arabe dans les grandes universités françaises et certains lycées tournés vers les compétences professionnelles internationales.
Ce sont ces types de mesures qui permettront aux musulmans de se sentir pleinement citoyens français, reconnus et respectés.
Pour autant, l’Etat doit-il intervenir dans l’organisation du culte musulman ? Comment empêcher le développement d’un islam politique et radical ? Faut-il reléguer toutes les religions dans l’espace privé, au nom d’une certaine compréhension de la laïcité ou, au contraire, garantir leur libre expression dans l’espace public, y compris pour l’Islam – selon le principe de la liberté de conscience et de culte ? Telles sont les questions qui se posent en France et sur lesquelles nous voudrions être politiquement fixés pour nous déterminer démocratiquement.
Dans les mois qui viennent, des questions importantes pour l’avenir du modèle démocratique français, mises en avant par le mouvement des Gilets jaunes, vont être mises sur la table, dans le monde politique. Certains partis voudraient profiter d’un débat national pour promouvoir une identité française dont l’islam serait exclu, là où d’autres refusent, comme le président de la République, que les citoyens français de confession musulmane soient instrumentalisés, comme des «enfants illégitimes de la République», dans un débat politique douteux, aux relents racistes sur l’identité française.
Pour toutes ces raisons, nous aimerions affirmer au président Macron et à son gouvernement qu’il nous semble légitime que l’Etat légifère sur certaines questions, en particulier là où il s’agit, justement, de garantir l’égalité de traitement de toutes les composantes de la nation, religieuses ou non, et la liberté de religion des individus, entre autres. C’est le rôle même de l’Etat de droit de garantir ces aspects essentiels de la démocratie.
Ensuite, cela doit-il se faire en vertu d’un principe de «laïcité» ? Tout dépend du contenu que l’on met derrière ce terme. En l’occurrence, il ne peut s’agir d’une conviction philosophique déterminée ; par exemple, celle qui considère la philosophie des lumières comme un dogme qui doit s’imposer à tous. Si elle s’entend, par contre, au sens d’un principe formel de droit, reconnaissant l’égale dignité de tous les citoyens et l’égalité de tous devant la loi, le terme «laïcité» est acceptable par tous les croyants, fussent-ils musulmans et, même, il s’impose à tous, personne ne pouvant dicter sa conviction ou la loi en vigueur dans sa «famille spirituelle» aux autres citoyens. Qu’il s’agisse de la Charia, du droit canon ou du droit rabbinique.
Quoi qu’il advienne des futurs débats et discussions annoncés par le président de la République, Emmanuel Macron, au niveau des autorités ou de la société civile, une erreur devra être évitée : celle de vouloir brimer le «fait religieux musulman» dans notre société, de façon discriminatoire ou injuste, ce qui ne pourra créer que frustration et rancœur et pousser certaines personnes au radicalisme politique.
Concernant la modification de la loi, on nous parle de toilettage mais, en réalité, c’est une modification de la substance même du texte. Historiquement, la séparation des églises et de l’Etat avec la loi de 1905 avait un sens car l’église catholique représentait un réel pouvoir. Dans le cas de l’islam, ce dernier ne peut se prévaloir d’un pouvoir significatif pouvant être le vis-à-vis du pouvoir politique.
A. Z.
Délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM)
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