Pourquoi la Tunisie est devenue l’un des plus grands pourvoyeurs de terroristes
Par Sadek Sahraoui – Dans une communication présentée en décembre lors d’un forum organisé par le Washington Institute, dans la capitale fédérale américaine, le spécialiste des groupes djihadistes sunnites en Afrique du Nord et en Syrie Aaron Y. Zelin explique la présence massive de terroristes tunisiens en Irak et en Syrie par le fait que le gouvernement tunisien a préféré, durant les deux années qui ont suivi la chute de Ben Ali, le dialogue à la répression. Ce choix délibéré, ajoute-t-il, a permis aux djihadistes de s’organiser et d’opérer ouvertement. Et cela sans être inquiétés.
Cependant, précise Aaron Y. Zelin, à mesure que la menace militante augmentait, le gouvernement a commencé à combattre Ansar al-Sharia (AST) au printemps 2013. Tunis finira par désigner ce groupe comme terroriste au mois d’août de la même année.
Pour le chercheur américain à l’Institut des politiques du Proche-Orient à Washington, la répression a, par la suite, entraîné un afflux de «combattants» vers le Proche-Orient qui a coïncidé avec l’expansion de l’Etat islamique d’Irak en Syrie.
Aaron Y. Zelin révèle qu’environ 27 000 terroristes tunisiens ont tenté de rejoindre Daech, précisant que seuls 2 900 d’entre eux se sont rendus dans la zone de conflit. Il explique, en outre, que la «mobilisation» était un phénomène national en Tunisie et non spécifique à une ville ou une région en particulier. Et d’ajouter : «Certains combattants ont rejoint, dans un premier temps, Jabhat al-Nosra, groupe affilié d’Al-Qaïda, mais la plupart a fini par rallier l’EI après avoir annoncé ouvertement sa présence en Syrie en avril 2013.»
En ce qui concerne les motivations de ces combattants, trois facteurs se dégagent selon Aaron Y. Zelin.
Premièrement, indique-t-il, de nombreux Tunisiens ont été déçus par la politique suivie après la révolution, en particulier les jeunes instruits, qui ont connu un taux de chômage extrêmement élevé. «Malgré les progrès politiques graduels observés au cours des sept dernières années, les retombées économiques ne sont pas encore apparues, ce qui a incité certains à se radicaliser», souligne le chercheur américain.
En deuxième position, «le rétablissement du califat a été un puissant facteur de motivation pour rejoindre le djihad». «Lorsque l’EI a annoncé qu’il venait de le faire, de nombreux membres de mouvements djihadistes ont vu dans cette nouvelle une opportunité pour les musulmans de retrouver leur place», explique-t-il.
Enfin, le troisième facteur qui, selon lui, explique cet afflux tient au fait que «pour expier leurs péchés passés, certaines personnes ayant un passé criminel se sont jointes à des groupes djihadistes dans le but de se racheter».
Une fois à l’étranger, poursuit le chercheur américain, les combattants tunisiens ont été impliqués dans plusieurs types d’activités. «Le plus notoire est peut-être que deux d’entre eux ont pris part à la torture et à l’exécution du pilote jordanien capturé, le lieutenant Muath al-Kasasbeh», indique-t-il, précisant que «d’autres, parmi lesquels Abu Waqas al-Tunisi, ont participé à des activités de prosélytisme». Dès le début de l’année 2013, Abou Waqas al-Tunisi a été ainsi impliqué dans le programme de la Daawa de Daech. Au passage, Aaron Y. Zelin nous informe que la tristement célèbre brigade Al-Khansa était dirigée par une tunisienne du nom de Umm Rayan.
En ce qui concerne les combattants de retour en Tunisie, Aaron Y. Zelin lance avec sarcasme que le gouvernement tunisien «semble espérer que le problème se réglera tout seul». «Le gouvernement n’offre aucune démarche de réadaptation ou de réintégration aux personnes ayant combattu en Syrie. Les rapatriés sont soit détenus en prison, soit libres de se mouvoir à leur guise dans la société». Le chercheur américain dit comprendre d’ailleurs pourquoi la situation sécuritaire en Tunisie inquiète encore de nombreuses capitales occidentales.
S. S.
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