Lettre d’un Algérien de cœur qui n’a pas vécu en Algérie
Par Abdelkader Taleb – Je suis un Algérien natif de Djebala-Nedroma, qui a quitté l’Algérie en 1950 quand j’avais 2 ans. Mon père a fait la Seconde Guerre mondiale dans les tirailleurs algériens et a libéré la France des Nazis. Et il est resté en France coincé dans un petit village du Nord de la France où j’ai grandi dans un coron de mines car il travaillait comme mineur de charbon. Il n’y avait pas d’Arabes à l’époque, seulement des Polonais et beaucoup de Français. Jadis communistes, maintenant ils votent tous Le Pen. Mon lycée était à Henin-Beaumont ou Mme Le Pen s’est fait élire récemment avec un score incroyable. J’étais le seul Arabe sur 3 000 élèves.
Mon enfance a été merveilleuse car j’étais ouvert d’esprit et j’avais des ailes aux pieds et dans la tête. Je parcourais la campagne et les forêts des environs, étant un aventurier de nature.
Tout jeune, je ne rêvais que de l’Algérie et j’y suis retourné pour y vivre pour toujours en 1968, avec un bac technique en poche. Mais l’expérience a vite tourné court : 3 ans après, je suis retourné à l’étranger parce que l’Algérie que j’aimais tant m’a fait savoir que ce n’était pas ma place. J’ai donc décidé de ne vivre ni en France ni en Algérie, ne me sentant pas tout à fait moi-même dans ces pays et, aussi, par goût d’aventure. Je suis parti au Canada en 1973.
Maintenant, cela fait 50 ans que je n’ai pas mis les pieds dans mon pays natal. J’habite à Montréal depuis 45 ans et j’ai 70 ans. Mais je me sens toujours aussi algérien que lorsque j’étais gamin.
J’en veux aux Français d’avoir martyrisé mon pays et mes frères et sœurs algériens, d’avoir détruit mon douar d’Ouled Taleb à Djebala lors de la bataille de Fillaoucène en 1957, d’avoir tué mon grand-père – sous la torture – Mohamed Taleb et tous les chouhada algériens. Je devrais intenter aux Français une requête en justice pour génocide du peuple algérien.
Ma vie a passé très vite loin de l’Algérie : belle, tranquille, sans souci d’argent avec une petite famille. Oui, j’ai fréquenté des étrangères, mais je me suis marié avec une Algérienne comme ma mère me l’a recommandé et je vis avec elle depuis 40 ans. Mon épouse, Malika, est, comme moi, originaire de Nedroma Zaouïa Yagoubi, mais elle est née dans le Nord de la France, au village d’Auby. Moi, j’ai grandi à Leforest.
Je suis attaché à ma culture et bien que je n’aie que peu habité en Algérie, je parle l’arabe algérien que mes parents parlaient, sans difficulté, même si je ne le parle jamais ni à la maison ni autour de moi – j’ai eu des amis Algériens mais cela n’a pas duré car chaque personne a son propre parcours et aussi ses problèmes.
Je suis Algérien dans l’âme et jusqu’au bout des ongles et toutes les fois qu’on me demande d’où je viens – et on me le demande souvent avec un prénom et une gueule d’Arabe –, je suis fier de dire que je suis ALGERIEN.
Il ne reste pas beaucoup de membres de ma famille en France, soit par éloignement – loin des yeux, loin du cœur – ou simplement parce que la vie régit tout. Tout jeune, il y avait toute la tribu des Ouled Taleb que nous fréquentions à Nanterre, au pont de Bezons – un bidonville – où toute la tribu (ce qu’il en restait) avait refait le douar des Ouled Taleb, fuyant les horreurs de la guerre d’Algérie en 1957. Ils venaient tous en vacances à la campagne à Leforest Pas-de-Calais.
Depuis deux semaines, je suis grand-père pour la première fois d’une petite fille, Maéva. J’aurais aimé qu’elle reçoive un prénom arabe, mais cela n’est pas important. Je vais la renseigner sur ses origines et lui dire d’où elle vient. Mon fils – je n’ai qu’un garçon aujourd’hui âgé de 33 ans, né à Montréal – s’est marié en 2018 avec une Mexicaine de Montréal : beau métissage. De plus, elle s’appelle Lorena Cordoba ; elle est donc d’origine andalouse comme beaucoup de personnes de Nedroma. Le monde est vraiment petit. Et on va tous parler espagnol maintenant. Je vais essayer de trouver un agneau halal pour le baptême traditionnel.
Voilà où j’en suis. Je prends soin de ma petite famille et de moi. Je demeure à Boucherville, une charmante banlieue sur le bord du St-Laurent, depuis 40 ans, dans la même petite maison. Je suis retraité depuis maintenant presque 20 ans.
Tous les jours que le Ciel me donne, je le remercie pour sa bonté d’avoir vécu une telle vie.
Je m’intéresse à tout et tous les jours je consulte le journal Algeriepatriotique car je me reconnais dans ce journal, ses écrits et son verbe.
Pour finir, l’émigration ne détruit pas une personne, mais elle le façonne plutôt.
Peut-être, cette année inchallah, je vais aller faire un tour à Nedroma et grimper le mont Fillaoucène comme je faisais quand, après l’Indépendance, nous retournions au bled avec mes parents. Je pense que c’est le dernier souhait que j’aimerais exhausser avant de quitter cette belle terre qui est la nôtre.
Un Algérien de cœur qui n’a pas vécu en Algérie.
A. T.
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