L’extraordinaire harakiri d’un rapporteur piégé par une lobbyiste pro-Makhzen
Par Tarek B. – Miné par un processus chaotique visant coûte que coûte à faire passer des accords illégaux entre l’UE et le Maroc, le Parlement européen aura livré un bien triste spectacle d’un fonctionnement miné par des connivences douteuses et des intérêts sordides, lesquels ont primé sur le respect des règles de droit qu’il est pourtant censé défendre et promouvoir. Si les multiples rebondissements qu’a connus le processus de négociation de l’accord UE-Maroc, visant à étendre les préférences commerciales au territoire du Sahara Occidental occupé, ont plombé l’image idyllique d’un hémicycle européen présenté comme étant le «temple de la démocratie», les faits inédits survenus le jour du vote, le 16 janvier 2018, resteront dans les annales de l’histoire de cette institution et livrent déjà un aperçu de l’issue du vote, le 23 de ce mois, sur le projet d’accord de pêche incluant les eaux adjacentes du Sahara Occidental en violation flagrante de l’arrêt de la CJUE du 27 février 2018. Eclairage.
On pensait que la scène pitoyable livrée avec l’adoption au Parlement européen, le 16 janvier à Strasbourg, du projet d’accord entre l’UE et le Maroc, en vue d’étendre les préférences commerciales au territoire du Sahara Occidental occupé, prendre fin au stade du vote mais l’inimaginable est arrivé par après, à la publication des votes individuels des eurodéputés, que la presse marocaine et ses relais se sont bien gardés de divulguer, et pour cause ! Dans ce qui s’apparente à un fait absolument inédit dans l’histoire de cette institution européenne, le rapporteur du texte de la Commission du commerce international (Inta) du Parlement européen, la Néerlandaise Marietje Schaake, censée pourtant défendre un texte qui porte désormais son nom (Rapport Schaake ou ex-Lalonde), s’est tout bonnement abstenue de voter sur la partie du rapport qui donne le feu vert à la conclusion dudit accord Maroc-UE !
Ce fait exceptionnel qu’un rapporteur refuse de valider son propre rapport au moment du vote n’a rien d’étonnant lorsqu’on sait que l’eurodéputée néerlandaise, dans un souci de se démarquer d’un texte controversé et de sauver son «honneur» et, au passage, celui de son institution parlementaire, avait, sans succès, entrepris de reporter le vote d’un texte scélérat qui lui a été légué, malgré elle, par son prédécesseur, l’eurodéputée française Patricia Lalonde. Cette dernière, faut-il le rappeler, a été contrainte de démissionner début décembre 2018, après l’ouverture d’une enquête suite aux révélations l’impliquant, ainsi que d’autres parlementaires, dont l’inénarrable eurodéputé français Gilles Pargneaux, dans un cas de conflit d’intérêt flagrant du fait de son appartenance, non divulguée, au conseil d’administration de la fondation de lobbying pro-marocaine EuroMedA, qui comprenait, entre autres membres, l’ex-ministre marocain des Affaires étrangères Salah-Eddine Mezouar.
Mieux encore, les résultats individuels des votes ont révélé que l’eurodéputée néerlandaise a voté en faveur d’une proposition de résolution multipartite, introduite par une centaine d’eurodéputés, réclamant l’avis de la CJUE avant d’entériner l’accord au niveau du Parlement européen, bien que, faute de majorité, cette résolution n’ait pas été adoptée, tout comme l’exigence d’un débat public et transparent en plénière sur le sujet. Il faut dire qu’un tel débat en plénière aurait permis de révéler au grand jour le caractère biaisé du rapport établi initialement par Patricia Lalonde, tout comme il aurait mis cette dernière devant ses responsabilités de rendre compte sur les raisons qui l’ont contrainte à la démission, dans des conditions scabreuses et malhonnêtes, n’ayant jamais été clairement expliquées.
Bien plus, et dans une tentative d’afficher clairement son opposition aux manigances fomentées par ses pairs français et espagnols, Marietje Schaake a pris le soin de publier, le matin du vote sur sa page internet, une tribune dans laquelle elle a tenu à rappeler qu’elle n’était pas la rédactrice/négociatrice dudit rapport, établi par son prédécesseur Patricia Lalonde, et à expliquer qu’elle a dû «assumer dans l’urgence» la responsabilité de «nouveau rapporteur», qui, dans les circonstances, lui est automatiquement attribuée du fait de sa qualité de coordinatrice de son groupe politique (ALDE) au niveau de la Commission Inta.
Dans cette tribune, Marietje Schaake ne s’est pas contentée de marquer ses distances vis-à-vis de son prédécesseur car elle a aussi rappelé l’exigence de la CJUE du nécessaire consentement du peuple du Sahara Occidental, préalablement à toute extension d’accord au Sahara Occidental ainsi que la responsabilité du Parlement de se prononcer sur la satisfaction de cette condition. Par cette affirmation, Marietje Schaake rejoint ainsi l’avis du service juridique du Parlement européen, du 13 septembre 2018, qui a émis des doutes quant à la compatibilité dudit accord avec l’arrêt de la CJUE, notamment concernant l’impératif du consentement du peuple sahraoui.
Par ailleurs, deux importants amendements ont été introduits par Mme Schaake au rapport initial. Dans le premier, il est demandé à la Commission européenne d’ «envisager des possibilités qui permettraient à de futures préférences commerciales d’être effectivement accordées à la totalité du peuple vivant au Sahara Occidental». Cet amendement (paragraphe 30 du rapport) détruit à lui tout seul tout l’argumentaire échafaudé par le commissaire européen aux Affaires économiques, le Français Pierre Moscovici, dans le sens où il reconnaît explicitement le caractère boiteux de l’accord qui ne bénéficie pas «effectivement» à la totalité du peuple du Sahara Occidental. Dans le second amendement (paragraphe 9 du rapport), le rapporteur Schaake a demandé la suppression pure et simple d’un passage qui laissait croire, insidieusement, que le projet d’accord UE-Maroc ne porterait pas préjudice au processus onusien sur la question du Sahara Occidental.
Ces multiples faits, passés sous silence par la presse marocaine, ne sont pas seulement l’œuvre d’une prise de conscience, certes, tardive mais réelle face à une supercherie macabre. Ils fourniront, assurément, des arguments de taille, en prévision des prochaines batailles juridiques qui permettront, sans doute, de débouter une parodie d’accord, enfanté au prix d’une violation du droit européen et international ainsi qu’au travers d’un lobbying immoral fait de complicité et de rabattage de voix, particulièrement parmi les eurodéputés du Parti populaire européen (PPE), allié traditionnel de Rabat dans ses relations avec l’UE.
Le nombre important d’eurodéputés de tous bords politiques – plus de 200, sans compter les abstentionnistes – ,qui ont exigé un avis préalable de cette Cour avant toute adoption, est révélateur d’un vice manifeste de légalité que les réjouissances d’une «victoire» aussi lâche qu’éphémère n’arriveront pas à estomper. Rien ne résiste au droit car la vérité peut tarder mais elle finit toujours par triompher.
T. B.
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