Hold-up de mille ans
Par Saadeddine Kouidri – Les guerres sans discontinuité livrées aux peuples depuis la nuit des temps visent un but jamais révélé, secret. Le secret est à la base de la politique de toutes les minorités dominantes, de tout antidémocrate.
Quand Kateb Yacine avait intitulé sa pièce «La guerre de mille ans» et, par la suite, «La guerre de deux mille ans», j’étais sceptique sur la durée. Aujourd’hui, c’est tout le contraire, quand on découvre l’enjeu majeur. La guerre est toujours livrée pour commettre un vol, à l’instar de la colonisation de notre pays et la finalité de ces guerres n’est ni le butin, comme l’or et l’argent qui sont l’appât du guerrier, mais celui qui vise à dépouiller les peuples de cette part de conscience, leur conscience politique. Ce hold-up est toujours suivi par celui de la force de travail (de sa plus-value) et achevé par celui de la liberté, celle de s’exprimer durant plus de trois mille ans.
On sait aujourd’hui, grâce à la biologie, que la plus minuscule unité vivante n’est vivante que parce qu’elle est munie d’une conscience. Son milieu est naturellement déterminant.
A ce sujet, Marx écrira à Londres, en janvier 1858, dans la préface de sa Contribution à la critique de l’économie politique : «Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience». Comment peut-il en être autrement ? Cette vérité de La Palice est une vérité que seule la force de Marx a pu faire remonter du fond des âges, comme beaucoup d’autres vérités de son Capital, à la façon d’un prophète.
Dans l’Antiquité, le philosophe, après le sorcier, détourne la conscience de l’Homme pour l’attribuer à son maître, aux rois et, plus tard, au pape pour faire du Vatican, cet allié d’Hitler lors de sa guerre contre l’humanité, ce fer de lance du capital dans la lutte contre l’URSS, le pôle majeur de la soumission des peuples qui sera imité par deux autres, celui de Tel-Aviv et de Riyad. Après le sorcier, le patron détourne quant à lui la plus-value de la force de travail et, par la suite, l’Etat féodal-bourgeois peut, à ce moment, soumettre à sa loi cet être immature.
Pour en sortir, il nous faut commencer par nous laver les méninges des idéologies construites d’illusions et de mythes déposés sur notre conscience ramollie, à l’aide de ce savon surnommé le matérialisme actif qui est dans ce cas une étiologie de l’illusion.
Pour affronter un adversaire, il est primordial de commencer par discerner l’enjeu en cours à l’échelle local, régional et international. Si un syndicat, un parti politique et un front restent des moyens nécessaires pour le cerner, l’éducation et l’information s’imposent à chaque citoyen comme des outils de combat. La lecture, l’écriture et l’art deviennent à la fois des matières à consommer et des outils à aiguiser quotidiennement.
Il est entendu que la publicité du capital est un poison pur jus, qui invite à la consommation et rarement à la réflexion. L’art en général, et particulièrement l’art cinématographique de Chaplin, de Fellini, d’Eisenstein, de Wells, etc., qui se sont nourris chez Saint-Augustin, Ibn Sina, Ibn Rochd, Ibn Arabi, Dante, Voltaire et autre Darwin, à l’instar de la majorité des auteurs classiques, sont un antipoison qui nous aide à combattre cette mithridatisation de plus de trois mille ans. Les films classiques du cinéma mondial sont pour les adultes malmenés que nous sommes semblables à nos illustrés d’enfants. On peut lire, boire, avaler goulument leurs images et leurs messages. Ce qui n’est pas le cas de l’écrasante majorité des autres films ou des autres arts, comme la peinture ou l’architecture. Si le premier art est toujours inaccessible à cause des matériaux utilisés, c’est tout le contraire pour le septième art et particulièrement le huitième grâce au numérique et à l’internet.
Dans Le cadavre encerclé de Kateb Yacine, disponible sur YouTube, on pout entendre la phrase suivante : «Je retourne à la sanglante source, à notre mère incorruptible, la matière». Le père de Nedjma déclare très tôt son option au matérialisme mais en poursuivant : «Jamais en défaut tantôt génératrice de sang et d’énergie tantôt pétrifiée dans la combustion solaire». Il idéalise la matière.
Federico Fellini nous conte la vie des pauvres et humbles. Dans son film «La Strada», par exemple, c’est l’histoire d’une fille vendue par sa mère à un homme pourvu d’une force physique extraordinaire et d’un mental du loup solitaire roulant sur son side-car et qui vit en campant au bord des routes, qui la brutalise sans ménagement, mais tout en lui apprenant un métier. Malgré cela, elle préfère cette vie nomade pleine d’embuches et de misère avec ce saltimbanque à la vie au couvent qu’une sœur d’église lui avait proposé.
Politiquement, le mur de Berlin s’est fissuré le 11 septembre 1973, le jour de l’assassinat par la CIA du président chilien démocratiquement élu, Salvador Allende. Cette mort contredira l’effort conscient des masses chiliennes à récupérer leur liberté. C’est lors de ce coup d’Etat que les Etats-Unis entamaient leur victoire de la Guerre froide et consolidaient leur leadership en accélérant le transfert des richesses des peuples à des dizaines d’hommes devenus aujourd’hui plus riches qu’un Etat, plus riches que le monde. Le Chili n’est ni le premier ni le dernier pays à avoir subi ce joug de la Maison-Blanche, puisque les coups bas qu’elle pratique est sans discontinuité jusqu’à celui qu’elle prépare pour le Venezuela et la Syrie aujourd’hui. Le capitalisme financier ne fait pas pression sur les économies seulement, mais directement sur des présidents élus démocratiquement non pas par l’intermédiaire des CIA, mais des gouvernements de l’Occident. La CIA a perdu le monopole de l’information, donc du secret, au profit des GAFAM qui sont au service du plus offrant.
Les syndicats et les partis politiques pour ne plus subir le diktat des oligarques et pour mieux se protéger et passer le cas échéant à l’offensive, doivent faire leur mue ; passer d’une organisation nationale à l’international. Le mouvement des Gilets jaunes actif chaque samedi en France, après celui de la marche des Palestiniens sur El-Qods les vendredis, semble enclencher une forme de lutte inédite. A cette forme, il faut le fond, c’est-à-dire comment aller à la mobilisation d’une solidarité de tous les laissés-pour-compte du monde et abattre ce «capitalisme autophage avide de profits qui traverse la stase d’un paradigme en phase terminale. Situé sur un graphique dont l’abscisse représente le temps d’hominisation proche, soit quelque 750 000 ans, l’épisode capitaliste s’avère imperceptible quand les élites décérébrées affirment qu’il est immortel».
S. K.
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