La conférence nationale : une alternative peace & love à la constituante
Par Chérif K. – En observant l’organisation mise en place par l’alliance présidentielle, nous présagions des changements importants dans la pratique politique, de même que nous annoncions que cette campagne allait être une campagne de communication énergique. Les récentes déclarations, dont la principale annonçant la candidature du Président désormais sortant, ne nous ont pas donné tort.
Un constat et des réalisations comme capital de démarrage
Le candidat Bouteflika a, certes, un atout majeur qui joue en sa faveur dont aucun candidat ne peut se prévaloir, c’est son bilan en tant que Président de la République. Simplement parce qu’aucun n’a eu à exercer le pouvoir avec autant de prérogatives. Mais toutes les réalisations contenues dans ce bilan, et celles d’avant, sont désormais entre les mains du peuple éternel et à la disposition de chaque individu qui le compose.
D’un autre côté, la liste des candidats à la candidature a atteint le nombre incroyable de 169 candidats dont 13 chefs de parti. Si l’on s’arrête sur le premier chiffre, trois constats majeurs peuvent être faits : 1/ Il doit y avoir un grand malaise social pour voir autant de prétendants à la responsabilité suprême ; 2/ ce malaise est si grave, et l’urgence telle, que n’importe quel hurluberlu, celui relevant du cas pathologique mis à part, pense être en mesure d’en découdre ; enfin 3/ pour les plus sérieux et mieux articulés, mis à part la volonté d’en finir avec le système Bouteflika, que proposent-ils ? Peuvent-ils aller plus loin que le constat de récession économique et de dépravation de nos institutions et administrations auquel mène toute observation, même superficielle ? Un constat que l’on retrouve d’ailleurs clairement résumé dans la déclaration du Président à sa propre succession.
Si l’on s’essayait à un exercice de normalisation en occultant les similitudes, puisque les réalisations et le constat qui fondent la base de départ sont communs à tous les candidats en lice, que peut-on dire de ces candidats ? Quels sont les critères de présidentiabilité et quels sont ceux qui font d’un présidentiable un bon Président qui incarne l’espoir pour les générations et périodes futures ?
Projet de société et organisation politique : deux constantes indispensables
Cette dernière question est plus que cardinale car, à moins d’un mois et demi du début de la campagne, prévue le 24 mars 2019, seuls quelques candidats sont visibles ; et de ceux qui affichent un effort réel et une volonté/ambition affirmée se dégagent seulement trois : Ali Ghediri, Abderrazak Mokri et Abdelaziz Bouteflika. Même Ali Benflis qui a animé les courses à la présidentielle depuis 2004 est dans une posture d’attente ambiguë, certainement très inconfortable pour l’homme politique, qui fait de lui un candidat absent de son ultime marathon. C’est à croire que Benflis ainsi que beaucoup d’autres ne croient pas vraiment en leur projet pour la société ou, pour faire une analogie simple, qu’ils sont dans la posture de candidats-assistés qui appellent au soutien de la main invisible de l’Etat profond ; tout comme celle des demandeurs de logement non préparés à travailler pour leur propre confort. Le changement pourrait-il advenir ainsi ?
Ali Ghediri, en sa qualité de haut cadre de la nation et nouvel entrant dans l’arène politique après avoir révélé courageusement ce constat de dépravation, était celui qui pouvait rassembler la classe moyenne longtemps silencieuse et, pourtant, présente dans toutes les échelles des institutions. Une classe moyenne nécessaire à tout projet de reconstruction à moyen terme. Il est même le premier à prôner la rupture, sans renier les réalisations passées. Mais l’organisation politique semble lui faire défaut, à tel point qu’il devient difficile aujourd’hui de lui prédire une trajectoire, sauf au moyen d’un désordre général si l’on se réfère à ses soutiens improvisés, unis par le ras-le-bol mais que tout sépare au fond. En effet, dans le fond, qu’est-ce qui rassemblerait Ali Ghediri et Mohamed Bouferache ?
Quant à Abderrazak Mokri, après avoir cru en le projet du report de la présidentielle, car vraisemblablement convaincu de sa nécessité, le voilà dans la course. Il fait partie des candidats les mieux organisés, disposant d’un appareil composé d’élus des 48 wilayas et de presque toutes les communes mais son projet inspiré «franchement» du régime d’Erdogan est-il abouti et rassembleur de tous les Algériens ?
Devenir Président est une chose sérieuse. Le candidat doit se déclarer après mûre réflexion et une préparation minutieuse compatible avec le sacrifice suprême auquel il prétend. Or, de ces deux candidats annoncés, aucun ne peut prétendre rassembler au-delà de sa base de sympathisants, ni constituer une alliance politique d’opposition forte. Et en l’absence d’un projet de société «affiché» qui réponde aux attentes économiques et sociales les plus prioritaires, il convient de se questionner sur quel est celui qui rassemble les qualités nécessaires de présidentiabilité, tant sur le plan de l’organisation politique que sur la capacité de rassembler les Algériens autour d’un même objectif ? D’ailleurs, quel est le projet de société capable de réconcilier les Algériens entre eux, de les unir autour de certaines valeurs oubliées – parmi lesquelles le travail – ne requiert pas la mobilisation de toutes les factions politiques et de l’appareil de l’Etat dans sa globalité ?
L’expérience de l’appareil d’Etat et un pacte social : deux conditions sine qua non
Il semble aujourd’hui trivial, si l’on interroge le subconscient, que la reconstruction de la société pour un lendemain meilleur et apaisé, puisque c’est de cela qu’il s’agit concrètement, nécessite l’effort de toutes les forces vives et actives animées par la volonté de changement, y compris celles qui composent les structures de l’Etat. Cela suggère aussi de la poigne et une alliance politico-sociale pour se défaire de tout ce, et ceux, qui pourrai(en)t entraver ce processus. Un changement donc de l’Etat profond et une expérience de l’appareil de l’Etat pour le conduire sans heurts, et dans un temps raisonnable, semblent conditionner tout projet de reconfiguration au bénéfice des générations futures.
En effet, 10 gouvernements en presque 20 ans et rien n’a changé au sein de l’administration, bien au contraire. Si l’on fait appel à la vérité qui est en nous tous, l’on s’accorderait à dire qu’elle s’affaiblit de jour en jour par les départs à la retraite des mieux formés et se dirige vers un avenir incertain par manque d’attraction des meilleures compétences et la fuite des cerveaux. Ces moult changements dans l’Exécutif n’ont pas solutionné le problème de l’administration, puisque son comportement vis-à-vis des citoyens, entreprises ou individus soient-ils, n’a jamais changé. Bien au contraire, cela va de mal en pis. Des erreurs de casting, il y en a eu certainement. Mais la constante qui n’a jamais changé, malgré les ajustements structurels, c’est l’organisation de cet Etat profond qu’est l’administration. Car démobilisée ou démotivée par des conditions socio-économiques inadaptées, certainement, mais aussi parce que non sanctionnée par les pouvoirs constitués ; lesquels sont inefficaces lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi et règlements à l’administration qu’ils engendrent et d’où émanent les lenteurs, les cas d’injustice et de dilapidation qui horripilent les citoyens, encouragent la démobilisation et provoquent le ras-le-bol dans la société. Un cercle vicieux donc qui ne peut se dénouer que par une refonte, dans l’unité, du système qui régit ces ensembles.
Un pacte social forcément sanctionné par un référendum
La conférence nationale annoncée par le Président-candidat semble porter en elle quelque chose de similaire à ce projet de refonte global si l’on se fie au contenu de la lettre révélée par l’APS. Bien que pas très claire encore, si cette initiative venait à aborder les changements constitutionnels nécessaires à résoudre les problématiques ainsi posées de l’Etat profond, alors ne serait-ce pas là le projet de société le mieux abouti et qui pourrait rassembler les Algériens autour d’un objectif commun ? Une sorte de constituante peace & love, qui ne résulterait pas de la révolution de rue à laquelle beaucoup d’activistes irresponsables appellent mais qui aboutirait au même résultat. Qui pourrait même faire émerger de nouvelles personnalités présidentiables et/ou formations à même de conduire notre pays vers une meilleure destinée.
Il est difficile de soutenir ce propos aujourd’hui, dans un climat où l’on est très vite et facilement qualifié du sobriquet «chi’yât», mais honnêtement, dans une autre forme d’expression du ras-le-bol qu’est la concession, ou encore celle du «q’bîh» qui cède au «samet», n’est-ce pas là un projet de société qui vaut le coup de supporter un temps ce qualificatif si les garanties à l’aboutissement de ce projet sont suffisantes, incontestables et surtout immuables ? D’ailleurs, quelles sont-elles et quelle est l’institution qui serait garante de ce processus ?
L’avenir proche nous éclairera peut-être sur ces questions, mais en tout état de cause force est de reconnaître aujourd’hui que le projet de prolongation du quatrième mandat, qui était déjà associé à l’idée d’une conférence nationale, n’était pas motivé par une simple extension de la période d’exercice du pouvoir mais bien par l’ambition d’initier un nouveau projet pour la société. Et son avortement, qui marque le non-recours au pouvoir de révision que consacre pourtant la Constitution, est en soi une garantie pour la future période qui devrait réconforter une frange des détracteurs du cinquième mandat. D’autant plus que celui-ci ne semble être qu’une étape limitée dans le temps qui mènerait à un projet fédérateur soumis au vote du peuple souverain.
D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement puisque toute modification touchant aux équilibres fondamentaux de la Constitution est forcément conditionnée par un appel à la caution du peuple – sous forme de pacte social – et est soumise à son vote par voie de référendum pour sa validation.
Finalement, le scrutin réel qui devrait compter le plus pour les Algériens est-ce celui d’avril 2019 ou celui de l’échéance qui suivra immédiatement à l’issue de la conférence nationale ?
C. K.
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