Ali Ghediri sera-t-il en mesure de stopper Bouteflika ?
Par Youcef Benzatat – Décidément, rien n’arrête Bouteflika. Nous savons que l’homme est obsédé par le pouvoir et ne le quittera jamais de son vivant. S’il paraissait comme un très bon «dribleur» aux yeux des tenants du pouvoir pendant la décennie noire, croyant se servir de lui pour les servir, ils n’ont à aucun moment soupçonné qu’il allait les dribler eux-mêmes et restructurer leur système de pouvoir de fond en comble pour se l’approprier à son propre avantage. Même invalide et démuni et dépourvu de toute capacité d’initiative, le rôle politique qu’il s’est façonné au sein de ce système est devenu tellement vital pour leur survie qu’ils ont été amenés à le reconduire inéluctablement pour un cinquième mandat, malgré l’anachronisme de cet acte.
L’homme est rusé et sait adopter les postures, choisir sa démagogie et sa rhétorique en fonction des circonstances. En 2012, lorsque les dictateurs arabes sont devenus les têtes à couper et montrées du doigt par les médias du monde entier, il eut cette illumination démagogique porteuse d’espoir pour sauver la sienne, «tab jena’na», suivie d’une promesse de réformes dans le sens du désir de la population qui lui permettra de rempiler pour un quatrième mandat, expédié comme une lettre à la poste. Pour justifier le cinquième mandat, ça va de soi d’invoquer une conférence nationale pour parachever son illusoire projet d’Etat civil, vu son âge avancé et sa maladie de plus en plus handicapante.
Comme toutes les autres promesses, il sait que cela va lui permettre de gagner beaucoup de temps et, pourquoi pas, préparer le terrain pour un sixième mandant, s’il aura encore le privilège de continuer à respirer l’air que respirerons les Algériens à ce moment et à qui il va devoir trouver une énième ruse, une ultime promesse enrobée dans une rhétorique démagogique anesthésiante et paralysante. Gagner du temps surtout pour affuter les moyens à mettre en œuvre pour empêcher tout avènement d’un contrepouvoir, étouffer toute voix discordante et empêcher la société civile de s’organiser. Noyer l’école sous des prêches réactionnaires, ouvrir la voie au MAK pour des marches hostiles à l’unité du peuple, lancer sur les ondes des crapules à l’image de Naïma Salhi pour souffler sur la braise de la division et de la haine interethnique.
A se demander si Ali Ghediri sera en mesure de le stopper, bien qu’avec Ali Ghediri nous ne sommes plus dans la configuration de la tentative de duperie de Benbitour la veille du 4e mandat. Ce dernier promettait le changement en dissimulant sournoisement sa soif du pouvoir derrière sa stratégie non avouée de s’appuyer sur l’autoritarisme des forces de sécurité pour mener un projet de restructuration de la gouvernance à long terme, qui devait déboucher sur une politique ultralibérale et néoconservatrice. En fait, une restructuration sans réel changement. Vaine tentative, le malheureux candidat n’a pas convaincu ses geôliers. Néanmoins, un point semble les relier : ce sont tous les deux des produits de cet ordre établi qu’ils voudraient renverser. Un ordre qui les a façonnés et qu’ils ont aidé à édifier. Un ordre qu’ils ont servi, tout en reniant cet état de fait, en invoquant plutôt leur patriotisme d’avoir servi la patrie.
Ali Ghediri semble s’engouffrer dans les sentiers interdits, mais sans trop de conviction ni transparence sur son projet politique. Son discours de candidature à l’opposition au 5e mandat, bien qu’il apparaisse ne pas y aller avec le dos de la cuillère, souffre pourtant dans une moindre mesure de langue de bois et de déficit de transparence. Son projet consiste en la réalisation d’une rupture avec l’ordre établi, qu’il qualifie de périlleux pour la nation et qui est la résultante de la déviance de la trajectoire novembriste. Une rupture qu’il voudrait sans reniement, pour renouveler le serment avec ceux de Novembre. Non pas seulement pour sauver l’Algérie, mais surtout pour en faire son socle éternel et être en phase avec ce que devrait être sa destinée, à savoir une société moderniste, un Etat de droit où l’armée et les services de renseignement seront au service du peuple. Un défi qu’il ne considère réalisable qu’avec l’adhésion et l’implication du peuple tout en se défendant d’appartenir à un quelconque clan du pouvoir. Tout un programme qui pourrait, en effet, rassembler le peuple et pouvoir stopper Bouteflika et toute la machine mise en branle depuis 1962 pour broyer les idéaux de la Révolution et le peuple algérien avec.
Pour stopper une force rhétorique et démagogique à la hauteur de celle déployée par le système de pouvoir, les déclarations d’intention ne suffisent nullement. Il va falloir agir avec détermination, courage et abnégation. Donner aux mots la sonorité qu’ils signifient concrètement, les contextualiser et les porter aux oreilles de la grande masse du peuple avec tous les moyens à portée et sinon en inventer pour parvenir à cet objectif.
Aller au-delà de l’intention de «renouveler le serment avec ceux de Novembre», il faut rappeler que le principal de ces derniers était celui de la solidarité avec les peuples en lutte pour leur souveraineté, à commencer par la nôtre. La souveraineté territoriale, politique, économique et culturelle. Dire que si le XXe siècle était celui de la lutte contre le colonialisme, le XXIe sera celui de la lutte contre le néocolonialisme. Celui qui s’autorise le droit d’ingérence dans les affaires des peuples assis sur des richesses naturelles. Celui qui ne leur tolère aucune émancipation politique, économique et culturelle. Leur préférant des dictateurs couchés, prêts à leur céder les richesses de leurs peuples en concessions, régies par un droit international qui leur est imposé. Qui ne tolère aucune voix discordante qui remettrait en question ce système de domination néocolonialiste, lui préférant des intellectuels vautrés sur des appâts pour imbéciles, en échange de jouer les rôles d’indigènes de service et d’informateurs zélés.
La lutte contre le néocolonialisme s’annonce en premier contre soi-même. Ce qui aura, par ailleurs, pour conséquence l’annihilation de toute vulnérabilité et à laquelle il faudra sensibiliser les électeurs sans relâche. Sans tomber dans la langue de bois ou les généralisations qui viendront embellir les déclarations d’intention. Dire que l’objectif d’édifier un «Etat de droit où l’armée et les services de renseignement seront au service du peuple» doit contribuer à l’édification de la souveraineté de l’Etat. Un Etat souverain ne doit pas être aliéné par le militaire, le religieux et l’identitaire ethnique.
L’armée et les services de sécurité doivent être professionnalisés pour pouvoir se consacrer entièrement à leur mission de préservation de la souveraineté territoriale et à la paix civile, en étant soumis à la Constitution et commandés par un gouvernement civil. La religion doit réintégrer le domaine du privé pour permettre au citoyen l’exercice de sa liberté de conscience, une condition essentielle à l’avènement de tout Etat moderniste. L’identité ne doit pas être une affaire ethnique, mais seulement citoyenne, qui sera déterminée par l’idéal humaniste et civilisationnel qui caractérise les luttes qui ont jalonné l’histoire de la nation en devenir et dans lesquelles tout citoyen du monde pourra s’y identifier, quelles que soient son origine ethnique ou la couleur de sa peau, comme l’ont été Frantz Fanon, Maurice Audin, les pieds-noirs qui ont choisi de devenir des Algériens après l’indépendance ou tout autre citoyen du monde qui voudrait acquérir la nationalité algérienne dans l’avenir.
Un défi qui ne peut se réaliser que dans la mesure où le seul clan qui doit le porter et le soutenir serait un peuple uni, qui a su dépasser ses clivages religieux et ethniques.
Y. B.
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