Les deux premières étincelles libératrices contre le colonialisme français éteintes
Par Mesloub Khider – Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la population française était exsangue. Que dirait-on des populations «indigènes» des colonies françaises ? Dans tous ces pays colonisés, notamment l’Algérie et Madagascar, les populations étaient accablées de misère, affamées. Mais le grondement de la révolte troublait déjà sourdement l’atmosphère sociale. L’insurrection anticolonialiste, embusquée derrière le fracas des échos de la débandade française, accentués plus tard par l’effondrement du régime vichyste, fourbissait ses armes. L’heure de la lutte armée anticolonialiste sonnait l’alarme du réveil des consciences politiques subversives, libératrices.
Après le long sommeil d’asservissement, marqué d’une vie coloniale cauchemardesque, le soulèvement insurrectionnel s’est résolu de sortir de son lit pacifique pour emprunter la voie tempétueuse de l’indépendance révolutionnaire nationale.
Contre la pusillanimité des organisations indigènes œuvrant pour l’indépendance par voie légale et pacifique, indépendance conçue dans le cadre de l’union française et du maintien des intérêts économiques de la France, de nouvelles formations politiques révolutionnaires secrètes se sont donné pour programme maximaliste le soulèvement armé contre la puissance française colonialiste. Le baptême du feu a été déclenché en Algérie le 8 mai 1945.
En ce jour de la libération de la France du joug nazi, tandis que la population française fêtait dans l’allégresse sa liberté recouvrée, les Algériens ont cru bon de s’inviter aux festivités des libérations nationales pour revendiquer également leur indépendance, la restauration de leur souveraineté nationale. Mais, aux yeux de la France coloniale, l’indépendance de l’Algérie n’était pas prévue dans son menu de la restauration des libertés. Les Algériens ne peuvent prétendre goûter les délices de la libération, réservée, selon la conception coloniale, aux seuls Français. L’Algérien devait encore manger la vache enragée. Subir le joug colonial. Nourrir la France coloniale. Trimer pour les pieds noirs. Vivre dans l’indigence sous le code de l’indigénat.
Pourtant, sans avoir reçu d’invitation, le peuple algérien est entré dans la scène de la nouvelle histoire amorcée le 8 mai 1945, jour de la Libération. Il s’est emparé de la rue pour réclamer aussi sa libération, son indépendance. Dans la liesse, dans plusieurs villes d’Algérie, des manifestations populaires donnaient le la des revendications des indépendances nationales. Mais la France coloniale ne comptait pas laisser les Algériens occuper la rue, réclamer leur libération. Comme à l’accoutumée, la France coloniale réprimera dans le sang ces manifestations. Bilan : 45 000 morts en quelques jours.
A Madagascar, à partir de 1946, des manifestations violentes se déroulent dans différentes villes de l’île contre l’arbitraire. Ces manifestations se transforment rapidement en émeutes, aux cris de «Vive l’indépendance !».
Plus tard, le 29 mars 1947, des centaines d’hommes se soulèvent contre la misère et, surtout, contre les exactions des colons, ces colons imbus de leur supériorité, installés dans leur domination.
Armés seulement de sagaies et de coupe-coupe, ils attaquent des villes côtières et des plantations. Ils s’en prennent aux Européens. Le soulèvement s’amplifie. Rapidement, toute l’île s’embrase.
La réaction coloniale est violente et brutale. Elle débute le 4 avril, appuyée par l’instauration de l’état de siège.
La France coloniale dépêche immédiatement à Madagascar des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais). Au total, 18 000 hommes début 1948 : infanterie, parachutistes et aviations attaquent les civils désarmés. La répression va s’abattre sur la population malgache révoltée.
Ces premières révoltes sont durement réprimées : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, incendie de villages, etc. Au cours de cette expédition punitive à Madagascar, l’armée française expérimente une nouvelle technique de guerre psychologique : des suspects sont jetés vivants d’un avion pour terroriser les villageois de leur région.
En l’espace de quelques mois, la «pacification» fera 89 000 victimes malgaches. Les forces coloniales perdent 1 900 hommes (essentiellement des supplétifs malgaches). On compte aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires.
Au reste, il faudra plusieurs mois aux forces armées coloniales pour venir à bout de la rébellion. Le 7 décembre 1948, De Chevigné, haut commissaire de France à Madagascar, déclare : «Le dernier foyer rebelle a été occupé.» Bilan : l’île est ravagée et on dénombre 89 000 morts reconnus officiellement, sans compter les blessés, les personnes arrêtées, les torturés.
Tristement, au cours de ces longs mois de massacres, dans la métropole, les organisations malgaches et françaises ont brillé par leur silence criminel. Aucune formation politique n’a dénoncé les répressions, encore moins apporté son soutien aux insurgés indépendantistes. De même, les dirigeants du mouvement ouvrier ne manifestent aucune sympathie pour des insurgés mais prononcent, au contraire, une condamnation sans appel.
Comme lors de l’écrasement du soulèvement du peuple algérien le 8 mai 1945, le Parti communiste français, participant au pouvoir colonial français, a également observé un silence criminel. En revanche, il a manifesté son soutien indéfectible à l’empire colonial français.
En juin 1947, au onzième congrès du PCF à Strasbourg, Maurice Thorez déclare : «A Madagascar, comme dans d’autres parties de l’Union française, certaines puissances étrangères ne se privent pas d’intriguer contre notre pays.» Déjà, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, dans l’organe théorique du PCF, Les Cahiers du communisme d’avril 1945, on peut lire : «A l’heure présente, la séparation des peuples coloniaux avec la France irait à l’encontre des intérêts de ces populations.»
Il est de la plus haute importance de relever que l’une des plus sanglantes interventions militaire de l’impérialisme français commence sous un gouvernement socialiste, auquel participe également le PCF. Ce dernier occupe, entre autres, le ministère de la Défense nationale (François Billoux). Le parti communiste ne manifeste aucune opposition catégorique à l’envoi de renforts militaires, comme à la répression des insurgés. Déjà, lors de la répression contre le soulèvement du peuple algérien le 8 mai 1945, le ministère de l’Air et de l’Armement était dirigé par un membre du PCF, Charles Tillon.
Sous le ciel de la France, les nuages des massacres poursuivent toujours leur pérégrination, de siècle en siècle.
M. K.
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