Un chercheur américain : «L’option du cinquième mandat est un moindre mal»
Par R. Mahmoudi – Le chercheur et académicien américain Tahir Kilavuz estime, dans une tribune publiée dans le très sérieux Washington Post, que l’option du cinquième mandat en Algérie est moins dangereuse et moins coûteuse pour le pays que celle de la désignation d’un autre candidat qui diviserait durablement et dangereusement le système.
«Les manifestations vont probablement compliquer la prochaine élection présidentielle, et leur issue dépendra largement de la réaction du régime», écrit l’auteur d’entrée. Et de poursuivre : «D’abord, il faut savoir que ces manifestations sont le résultat des actions du régime. Le pouvoir voulait garder l’unité interne et avait de bonnes raisons de le faire. En 1988, des divisions croissantes entre les camps rivaux du régime avaient ouvert une boîte de Pandore menant à des manifestations de masse, puis à un processus de démocratisation tumultueux, suivi d’un coup d’Etat et d’une guerre civile qui a duré dix ans.»
Le chercheur américain explique que «pour éviter un scénario similaire, le régime a privilégié l’unité interne et décidé que Bouteflika éviterait les divisions, en dépit de son état de santé connu de tous. Même si cela semblait être l’option la plus sûre, les décideurs n’ont pas vu venir cette réaction de la population».
L’auteur estime que «les manifestations ne sont pas nécessairement anti-régime, puisque ces revendications directes ne sont pas le pain, la liberté, la justice sociale ou même des élections honnêtes». Il explique que «le peuple veut la chute du régime» n’est pas le mot d’ordre central, comme c’était le cas lors des manifestations connues dans des pays de la région en 2011. «Au contraire, les manifestants ont scandé, en substance, ceci : « Le peuple veut ouvrir la voie » pour passer à l’après-Bouteflika.»
Poursuivant son analyse, Tahir Kilavuz écrira : «Les manifestations sont anti-Bouteflika ou, plus précisément, anti-cinquième mandat. Bouteflika n’est pas nécessairement une figure haïe. Il avait acquis une certaine légitimité pendant longtemps car il était considéré par beaucoup comme le sauveur (de la guerre civile) et le bâtisseur de la stabilité lors de ses premiers mandats. Mais pratiquement, il ne dirige pas le pays depuis quelques années, et les gens le savent.»
L’auteur juge que «la plupart des manifestants auraient pu se contenter d’un autre candidat. Si le régime avait choisi un autre candidat consensuel qui ne soit pas un personnage controversé, nous n’aurions probablement pas vu de telles protestations». Et de constater que «les manifestants ne soutiennent aucun des candidats de l’opposition. Ils s’opposent principalement à un Président dont la santé le rend inapte à rempiler pour un cinquième mandat».
Trois scénarios pour une sortie de crise
Enfin, l’auteur imagine trois scénarios pour une sortie à la crise : le premier est un nouveau candidat pour remplacer Bouteflika. «Comme ce serait une réponse directe aux demandes des manifestants, analyse-t-il, un nouveau candidat pourrait résoudre le problème. Cependant, il y a deux risques à prendre en considération. D’un côté, cela peut à nouveau entraîner des divisions internes au régime. D’autre part, il pourrait s’avérer plus difficile de convaincre les personnes d’un autre candidat. Sans compter que les masses populaires pourraient avoir la même réaction envers ce nouveau candidat.»
Le deuxième scénario est l’intervention de l’armée et une répression totale. Le chercheur explique : «Le régime peut avoir recours à la répression totale et aux arrestations (…) pour empêcher de nouvelles manifestations. Les manifestations étant à un stade précoce, il est possible d’y mettre fin avec des mesures énergiques. Toutefois, cela risque de transformer un mouvement de protestation aux revendications limitées en un vaste mouvement anti-régime.»
Dans la troisième hypothèse : le régime peut autoriser des manifestations contrôlées jusqu’à ce que les tensions s’apaisent. «D’une part, le régime pourrait faire preuve d’un certain durcissement en contrôlant Internet et en réprimant de manière limitée les manifestations, comme on l’a vu lors des manifestations de dimanche. D’autre part, cela pourrait faire des concessions limitées ou acheter des leaders potentiels des manifestations.»
Ce troisième scénario est similaire à la stratégie utilisée en 2011 contre les mouvements de protestation. Mais, pour l’auteur, il existe deux différences. «Premièrement, en 2011, Bouteflika est passé à la télévision nationale et a promis des réformes pour absorber les pressions. Aujourd’hui, on ne sait pas quelles réformes peuvent être promises face à une demande de remplacement de Bouteflika. Deuxièmement, le régime a épuisé ses ressources pour pouvoir augmenter les salaires, baisser le coût des importations de denrées alimentaires et subventionner certains produits de base afin de mettre fin rapidement aux manifestations à l’époque», conclut le chercheur.
R. M.
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