S’organiser, dans quel but ?
Par Kaddour Naïmi – Suite à la contribution précédente, il restait à préciser le but principal de l’auto-organisation citoyenne. L’examen attentif et objectif de l’histoire de l’Algérie, et cela depuis le Congrès de la Soummam de 1956, semble indiquer ce problème : le peuple algérien n’a jamais eu la possibilité d’exprimer ses désirs de manière égalitaire, libre et solidaire. Toutes les Constitutions rédigées depuis lors le furent sans tenir compte des intérêts du peuple. Bien entendu, en paroles et formellement, ces Constitutions étaient déclarées comme émanant et reflétant les intérêts du peuple. La réalité a toujours démontré le contraire : ces Constitutions furent toutes élaborées et destinées à créer, maintenir et consolider une caste oligarchique exploitant économiquement, dominant politiquement et conditionnant politiquement le peuple.
D’où la nécessité de rédiger enfin une Constitution qui soit réellement l’émanation des désirs et intérêts légitimes et authentiques du peuple. Or, l’histoire des peuples le démontre amplement, une Constitution qui réponde aux intérêts du peuple ne peut jamais être rédigée par des personnes hors du peuple exploité et dominé. La Constitution des Etats-Unis, celle de la Révolution française de 1789, même la première et les suivantes de l’Union des Républiques «socialistes soviétiques» et autres républiques prétendument «populaires», n’ont pas répondu aux intérêts du peuple mais aux castes oligarchiques qui prétendaient le représenter.
Voilà pourquoi une Assemblée constituante, pour refléter et correspondre aux intérêts authentiques du peuple, quel que soit le pays considéré, ne peut être rédigée correctement que par ses mandataires authentiques. Pour l’être, ils doivent être choisis et élus de manière réellement libre, égalitaire et solidaire. Cela implique que ces mandataires soient sinon tous, du moins en majorité issus de ce peuple, autrement dit de cette majorité de citoyennes et citoyens exploités économiquement et dominés politiquement.
On objecterait : mais comment des gens de ce peuple pourraient être capables de rédiger une Constitution ? C’est simple : qu’ils soient consultés de manière correcte, que leurs désirs soient fidèlement exprimés, que les spécialistes en la matière se contentent et se limitent à la stricte collaboration technique, celle servant les intérêts exprimés par le peuple, et non pas se servir des déclarations du peuple pour les déformer en les mettant au service d’une caste nouvelle.
Voilà pourquoi il semble que le meilleur moyen pour y parvenir est la constitution de comités citoyens autogérés, réellement libres, égalitaires et solidaires, réalisés dans tous les lieux d’agrégation sociale : travail, études, habitat, loisirs, etc., et cela du groupe social le plus petit (entreprise, immeuble, classe d’études, association, etc.) au plus grand (du douar à la ville, finalement à la capitale). Ces comités seront la base non pas d’une hiérarchie verticale, produisant des chefs commandant des exécuteurs, mais d’une structure horizontale, produisant des mandataires en permanence contrôlés par leurs électeurs et susceptibles d’être révoqués à chaque moment si leurs électeurs estiment que ces mandataires ont outrepassé la mission qui leur est confiée.
Toute autre procédure, notamment engagée par des soi-disant représentants du peuple, en particulier les partis politiques, quelle que soit leur orientation politique, ne peut aboutir – l’histoire mondiale le démontre – qu’à la production d’une Constitution servant la caste dont font partie les membres rédacteurs de cette Constitution. Sans expression directe et sans contrôle direct et permanent du peuple exploité et dominé, il est impossible de produire une Constitution qui reflète réellement ses intérêts. Affirmer cela, c’est simplement dire ce que l’histoire des peuples montre, partout et toujours.
Donc, bienvenue à une Assemblée constituante, mais si elle se veut réellement le reflet des intérêts du peuple exploité et dominé, que ses membres soient en majorité − sinon tous − des membres de ce peuple. Pour y parvenir du point de vue organisationnel, il semble que cela est possible par la création de comités citoyens autogérés dans tous les secteurs d’activité sociale, fédérés de manière horizontale, tel qu’indiqué ci-dessus. De cette manière, l’autorité dirigeante qui s’en dégagera sera le reflet du peuple, contrôlée par les mandataires du peuple, éventuellement modifiée et corrigée selon le même processus.
Bien entendu, la présence des femmes devrait être égalitaire avec celle des hommes. Car le principe correct est déjà fourni par la sagesse populaire : on n’est bien servi que par soi-même. Ainsi, qui peut mieux servir des exploités économiques dominés politiques sinon eux-mêmes et elles-mêmes ? Eventuellement avec l’aide de détenteurs de savoir adéquat…
Encore une fois, l’histoire sociale des peuples le montre : on ne fait pas le bonheur du peuple en dehors de sa participation directe, non pas celle manipulée et conditionnée par une caste − qui, évidemment, prétend toujours le servir − mais celle réellement libre, égalitaire et solidaire. Non ! Un patron capitaliste, un politicien, un intellectuel, un économiste, un sociologue, bref, un soi-disant «expert», ne seront jamais capables d’évaluer la valeur économique d’une force de travail mieux que le fournisseur de cette dernière. Non ! Un homme ne saura jamais apprécier et exprimer la valeur sociale d’une femme mieux qu’elle-même. Il en est de même concernant un jeune par rapport à un vieux, ou le contraire.
Bien entendu, certains accuseront ces considérations de démagogie, d’anarchie, d’utopie et autres stigmatisations. Est-ce un hasard si ce genre d’accusations proviennent uniquement de personnes qui ne sont pas directement exploitées économiquement et dominées politiquement, mais au contraire profitent du système exploiteur-dominateur ?
Contrairement à ce que certains croiraient, par ignorance de l’histoire sociale des peuple ou par occultation intéressée de celle-ci, le processus indiqué ici pour parvenir à une Assemblée constituante réellement populaire − laquelle, rappelons-le, ne peut être que libre, égalitaire et solidaire − ce processus est possible. Il lui suffit de bénéficier de la volonté des citoyens et de ceux qui se prétendent en être l’élite représentative. Tout le problème est là, toujours et partout dans le monde.
K. N.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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