Quelles perspectives pour la transition démocratique en Algérie ?
Par Youcef Benzatat – La répudiation du système de pouvoir autoritaire et liberticide algérien par le peuple étant irréversible, au vu de l’ampleur des manifestations et leur permanence depuis le 22 février et la détermination avec laquelle est envisagée la suite à donner à ces manifestations, dont la revendication principale est une véritable transition démocratique et l’instauration d’un Etat de droit, quelles seraient, dans ce cas, les perspectives pour cette transition démocratique, alors que le pouvoir s’obstine à poursuivre le processus électoral en vue d’élire le président sortant, Abdelaziz Bouteflika, pour un cinquième mandat consécutif ?
A ce jour, la transition que revendique le peuple ne vise que la nature du régime politique ou le système de pouvoir pour être précis. Elle ne s’intéresse pas encore aux valeurs sur lesquelles ce système de pouvoir attribue son identité à la société, à savoir le triptyque, arabité, islamité et amazighité, considérées par lui comme des constantes nationales inaliénables. D’ailleurs, c’est le refoulement de la structure anthropologique de la société, particulièrement les divisions ethniques et religieuses par la population, engendrées par ce triptyque, qui lui a permis de s’unir autour du mot d’ordre de la répudiation du système de pouvoir.
En effet, on ne peut qualifier le système de pouvoir algérien de régime politique. Parce que la nature du pouvoir algérien ne peut être qualifiée par une nature de régime identifié. Celui-ci revêt un caractère officiel inscrit dans les textes fondamentaux, que l’on peut qualifier, certes, de régime politique, mais sa mise en œuvre se présente tout autrement. Officiellement, le régime politique est démocratique et l’Etat civil. Or, dans la pratique, le régime est autoritaire et l’Etat est contrôlé par un consensus collégial occulte composé de civils et de militaires. Un système de pouvoir a deux visages, une façade démocratique et un pouvoir réel, autoritaire et liberticide, qui agit dans l’ombre. Les revendications portent donc essentiellement sur la répudiation de ce système de pouvoir en vigueur et l’instauration d’un véritable régime démocratique et un Etat de droit. Dans ce cas, le refus du cinquième mandat au président sortant, Abdelaziz Bouteflika, n’est pas une fin en soi, c’est tout le système de pouvoir dans son intégralité qui est visé et, par extension, tout autre candidat que le pouvoir voudrait élire comme de coutume en tant que fait accompli.
En ce début de la révolte populaire, la gestation du processus de transition voulu par le peuple est dans l’impasse. Alors que celui-ci exige la fin de ce système de pouvoir, les décideurs de l’ombre de ce système ne l’entendent pas de cette oreille et persistent dans leur obstination à vouloir élire Bouteflika pour un cinquième mandat. Même s’ils promettent pendant cette mandature une transition démocratique dans les mêmes termes des revendications des manifestants, en calquant la démarche sur leurs slogans. A savoir, une transition vers un régime démocratique, un Etat civil, le tout dans une deuxième République qui sera fondée par la réécriture de la Constitution et son adoption par référendum populaire. En précisant que la tâche qui revient à ce cinquième mandat, qui ne doit pas aller à son terme et doit prendre fin une fois sa mission achevée, consiste en l’organisation d’une conférence nationale inclusive pour faire aboutir la transition voulue par le peuple.
Cette réponse du pouvoir ne peut satisfaire la crédulité du peuple qui n’accorde plus de confiance à ce système pour avoir été déçu autant de fois en autant de promesses de changement non tenues et qui se sont avérées au final que des manigances pour obtenir un sursis et reconduire indéfiniment ce système de pouvoir. Il aurait fallu que le pouvoir entame cette conférence nationale inclusive, qu’il promet d’organiser au cours de l’exercice du cinquième mandat, dans l’immédiat et sans attendre pour être crédible.
Cette obstination à vouloir faire réélire Bouteflika pour un cinquième mandat, après avoir déposé sa candidature officiellement, est perçue par le peuple comme un affront, celui de vouloir reconduire ce système de pouvoir avec sa fraude électorale habituelle. Car il serait inimaginable de voir Bouteflika sortir vainqueur d’une élection où le peuple a déjà voté contre lui massivement pendant les manifestations en cours. La rue prend cela comme un passage en force et rend son irritation plus insupportable. La résistance populaire ne fera que s’endurcir au fur et à mesure de l’obstination du pouvoir à manifester son autisme. Le bras de fer ne fait que commencer et le face à face, manifestants-forces de l’ordre a de beaux jours devant lui et ne présage pas une garantie au profit de la paix civile. A ce stade de la confrontation entre pouvoir et manifestants, l’impasse est déjà installée.
Alors que les fonctionnaires de l’Etat et la classe politique dite d’opposition désertent petit à petit les institutions et leurs fonctions pour rejoindre le peuple, la configuration du conflit tend à se cristalliser dans une confrontation entre le peuple et le pouvoir dans ses derniers retranchements. Ce dernier se compose essentiellement des forces de sécurité et des partis politiques de l’alliance présidentielle. Ces derniers, en tant que clients du système de pouvoir, n’ont aucune assise populaire et commencent à donner des signes d’implosion sous la pression de la rue et risquent à court terme de subir des démissions en cascade.
L’hypothèse du passage en force du candidat du système de pouvoir, qu’il soit le Président sortant où un quelconque successeur désigné ne tiendra pas la route. Car le peuple a déjà voté et en cas du maintien du processus électoral, il sera tout simplement annulé pour la raison d’un seuil insignifiant de participation au suffrage et où la fraude électorale n’aura aucune chance de convaincre. Bien que ce dernier ne puisse même pas se dérouler dans la sérénité du fait du blocage potentiel de l’accès aux urnes par les manifestants, qui seront certainement très nombreux autour des lieux désignés pour abriter le vote. C’est pour cela que le dernier candidat en lice contre Bouteflika ou son successeur, le général à la retraite Ali Ghediri, n’aura aucun impact sur le déroulement de ce scénario. Déjà, des défections importantes sont observées parmi ses soutiens pour rejoindre le parti du peuple qui manifeste. Par ailleurs, par son passé militaire, il reste néanmoins perçu comme faisant partie intégrante du système de pouvoir, ce qui ne plaide pas pour une adhésion massive des électeurs en sa faveur.
Deux hypothèses semblent parmi les plus plausibles à observer. La première, qui verrait la transition démocratique réussir, où l’armée et les forces de sécurité prendront conscience de l’intérêt suprême de la nation et se rangeront aux côtés des revendications du peuple en annulant le processus électoral et en accompagnant avec patriotisme et sens des responsabilités le processus de transition démocratique, en laissant l’initiative à la volonté populaire de dessiner son destin.
La seconde hypothèse, qui verrait le processus de transition démocratique se solder par un échec serait la plus tragique et la plus préjudiciable à l’unité territoriale, à la souveraineté nationale et à la préservation de la paix civile. Il s’agit de celle qui verrait le peuple se faire atomiser par des forces d’influence internes et externes, en faisant voler en éclats son unité récente encore balbutiante et fragile. Celle où entreront en scène les démons de la division ethnique et religieuse, entre islamistes et berbéristes, entre laïcs et les adeptes du tout religieux. Ce sera la voie certaine du chaos qui ne bénéficiera qu’aux ennemis de l’Algérie, aussi bien intérieurs qu’extérieurs. Bien que cette seconde hypothèse, malgré la fragilité de l’unité du peuple encore balbutiante, semble avoir beaucoup moins de chances de se concrétiser. L’expérience acquise par le peuple depuis le Printemps algérien en 1988 et la tragédie qu’il a engendrée durant une décennie ont forgé sa maturité politique. Sa résilience devant les troubles géopolitiques de la décennie en cours, sous l’appellation de «printemps arabe », ont aiguisé sa conscience patriotique. Mais rien n’est acquis à l’avance, tout dépendra de sa capacité à préserver son unité.
Alors que ce problème d’unité du peuple sera le talon d’Achille de la transition démocratique tout le long du processus, longtemps après la répudiation du système de pouvoir en vigueur, de sa maîtrise dépendra l’édification d’une société moderniste, prospère et arrimée à la contemporanéité du monde.
Y. B.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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