L’Algérie d’en bas ne veut plus être gouvernée par l’Algérie d’en haut
Par Houria Aït Kaci – Les imposantes manifestations de la «dignité» contre le «cinquième mandat de la honte» puis contre la prolongation du quatrième mandat, par des millions d’Algériens dans tout le pays, expriment le net rejet d’un nouveau bail pour le Président sortant Abdelaziz Bouteflika et le régime en place dont il est le symbole. Elles sont le signe que l’Algérie d’en bas ne veut plus être gouvernée par l’Algérie d’en haut. Cette rupture entre les gouvernants et les gouvernés n’est-elle pas le signe précurseur d’une situation prérévolutionnaire ?
La rue, l’espace par lequel le peuple est en train de se réapproprier son droit à la légitimité et à la souveraineté, s’est de nouveau mobilisé ce vendredi 15 mars pour dire non à la prolongation du quatrième mandat ou au maintien de Bouteflika sans élections. Celles-ci ont été annulées par la Présidence et le Conseil constitutionnel qui a acquiescé à ce «coup d’Etat constitutionnel» qui met entre parenthèses la Loi fondamentale, engageant le pays dans un nouveau saut dans l’inconnu.
La nouvelle manœuvre politicienne du régime qui devait permettre à Bouteflika de ne pas briguer un cinquième mandat, tout en restant au pouvoir mais sans élections, a été rejetée sans équivoque ce 15 mars par des millions d’Algériens sortis dans la rue. «Non à la prolongation du quatrième mandat et non au report des élections à travers une offre de transition dirigée par le pouvoir !», a répondu le peuple qui exige le départ de tout le système.
Les manifestants n’ont jamais demandé ni report des élections ni transition, comme le justifie le gouvernement pour expliquer son coup d’Etat constitutionnel, mais seulement l’annulation du cinquième mandat, le départ du régime et le changement démocratique. Ce sont des partis d’opposition qui ont revendiqué un tel report et une conférence de transition pour négocier avec le pouvoir en place une «transition douce», «consensuelle».
Pouvoir et opposition ont été pris de court par le mouvement populaire qui s’exprime à travers des manifestations de rue qui rappellent beaucoup, par leur ampleur et l’espoir suscité, les manifestations de l’indépendance de l’Algérie. La dynamique ainsi créée semble ne pas vouloir s’arrêter jusqu’à la satisfaction des revendications. C’est une lame de fond, un volcan qui se réveille après la terreur de la décennie noire et les 20 ans de règne sans partage de Bouteflika. La rupture semble être désormais consommée entre la rue et le Palais qui a voulu imposer la «continuité» du règne d’une présidence par procuration.
Le peuple a dit stop à cette mascarade et au système politique qui l’a engendré, un système «périmé», obsolète, un système autoritaire qui a autorisé de telles dérives, un système construit sur le cadavre des acquis démocratiques obtenus par les luttes successives du peuple algérien et remplacés par une démocratie de façade érigée comme alibi devant l’opinion internationale et au seul bénéfice du régime en place.
Aujourd’hui, le peuple est en train de se réapproprier sa légitimité et veut déconstruire ce système pour construire une nouvelle République, démocratique, populaire, moderne et un Etat indépendant de toute tutelle et de toute ingérence étrangère. Il veut le changement du personnel politique, le même qui est en place depuis des lustres, et passer le relais à la nouvelle génération sans rejeter les conseils de la génération de Djamila Bouhired et de Larbi Ben M’hidi qui a libéré le pays de l’occupation coloniale française.
Si le quatrième mandat est passé comme une lettre à la poste, même si les Algériens ne l’approuvaient pas et se le disaient entre eux, cette fois, la crise du système économique et social basé sur la redistribution de la rente en raison de la crise pétrolière, a contribué à provoquer un séisme au palais d’El-Mouradia. La «paix sociale» devenant plus difficile à acheter, l’argument de la «stabilité» n’étant plus convaincant pour un peuple qui avait peur surtout pour le pays. Le mur de la peur est ainsi tombé.
Depuis 2014, avec la crise pétrolière, le système rentier basé sur le clientélisme, le népotisme, la corruption, commençait à battre de l’aile, profitant surtout à quelques familles d’entrepreneurs devenus des oligarques. Les forces de l’argent ont fait irruption dans les affaires politiques, en finançant les campagnes électorales de Bouteflika (voir le soutien du FCE) moyennant de juteux marchés publics. Ces oligarques exerçant une influence sur le pouvoir politique et les centres de décision, finirent par former une «oligarchie de fait» qui a voulu, à travers un cinquième mandat pour un président «absent», s’emparer totalement du pouvoir par procuration.
Cette oligarchie de quelques centaines de familles de milliardaires et de nouveaux riches d’une bourgeoisie bureaucratique, étatique, des barons de l’import-import, de compradores liés aux multinationales, a renforcé sa position sociale grâce à un régime qui leur offre de nombreux avantages, tels les crédits sans intérêts, les marchés publics de gré à gré.
Le système de corruption généralisée, intégrée dans un système de gouvernance défaillant, privé de contrôle et de contre-pouvoirs, a été mis à nu dans plusieurs affaires de justice, comme celle de la cocaïne qui a défrayé la chronique cet été, éclaboussant de hauts dignitaires du régime. Symbolisant l’intrusion de l’argent sale dans la vie politique du pays, la «chkara» a fait son intrusion dans l’achat des postes de députés, de sénateurs, de magistrats, de juges. Tout se vend et tout s’achète dans cette République factice qui s’accommode d’une présidence à vie et d’une gouvernance par procuration comme dans une monarchie !
Cette minorité régnante – combien représente-t-elle par rapport à l’ensemble des 40 millions d’Algériens ? – qui gravite autour du Palais voudrait que cela dure éternellement. Aussi, a-t-elle voulu imposer sa volonté à la majorité des Algériens pour reconduire le président Bouteflika malgré son incapacité à diriger le pays, afin de continuer à piller le pays impunément. Ce à quoi a répondu la rue : «L’Algérie est une République pas une monarchie», «Le peuple ne veut ni de Saïd ni de Bouteflika».
Le peuple veut se réapproprier sa légitimité et demande une seconde République, un changement radical de tout le système politique qui l’a dépouillé de ses droits et l’a confiné dans un rôle de figurant, de sujets, tenus par la peur et le chantage. Même les droits sociaux (logement, subventions, emploi, etc.) ont été transformés en privilèges accordés selon le degré d’allégeance et de soumission.
Le peuple manifeste de façon pacifique, ordonnée, civilisée, donnant des leçons de maturité à ces gouvernants autoritaires, dédaigneux, arrogants, méprisants, qui croyaient l’avoir réduit à un «tube digestif» quémandant quelques subsides, oubliant que les Algériens sont très attachés à la justice et à la dignité.
Les intérêts de la minorité qui gouverne et ceux des couches populaires et des couches moyennes sont aux antipodes. Le divorce entre le peuple et le pouvoir est désormais consommé. Ne dit-on pas que lorsque les gens d’en bas ne veulent plus être gouvernés par ceux d’en haut et que les gens d’en haut ne peuvent plus gouverner, cela est le signe annonciateur d’un processus révolutionnaire ?
Ce processus qui se déroule sous nos yeux vise le départ du régime corrompu. Mais une fois cet objectif atteint, comment construire cette deuxième République à laquelle il appelle ? Il faut surtout empêcher que le mouvement populaire ne soit récupéré et sa trajectoire détournée, comme cela s’est fait par le passé. Diverses propositions sont émises sur les réseaux sociaux et la presse pour se doter de représentants. Est-ce nécessaire à cette étape du mouvement qui a besoin de protéger son autonomie jusqu’à la concrétisation de ses revendications?
Le plus urgent n’est pas que ce mouvement se structure ni comment, mais d’éviter un nouveau saut dans l’inconnu avec le vide constitutionnel. N’est-t-il pas alors plus urgent d’exiger le retour au scrutin électoral avec des élections démocratiques et transparentes ? Dans un régime démocratique, le peuple tire sa légitimité des urnes. Les institutions chargées du respect de la Constitution doivent rétablir ce droit sans trop tarder. Une fois élu, le nouveau président, tirant sa légitimité du peuple, aura toutes les prérogatives pour mener les réformes voulues par le peuple souverain.
H.A.-K.
(Journaliste)
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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