Situation politique en Algérie : les deux craintes de l’écrivain Jacob Cohen
L’écrivain franco-marocain ami de l’Algérie, Jacob Cohen, ne se laisse pas envahir par un optimisme béat par rapport aux demandes de changement en Algérie. «Une révolution réussie amène seulement le remplacement d’une oligarchie par une autre», explique-t-il dans cette interview à Algeriepatriotique, en confiant que le destin de l’Algérie «ne dépend pas entièrement de son peuple et de ses intérêts fondamentaux».
Algeriepatriotique : Que pensez-vous des manifestations populaires contre le système en place en Algérie ?
Jacob Cohen : J’ai d’abord été surpris, agréablement surpris, parce qu’on pense généralement que le peuple reste englué dans ses problèmes du quotidien, qu’il a développé une résignation fataliste face à un pouvoir tentaculaire et qui n’évoluera jamais. Et puis, une étincelle fait enflammer les foules et les fait descendre dans la rue. Les réactions populaires demeurent mystérieuses et imprévisibles, et c’est une bonne leçon que les pouvoirs établis négligent de méditer tant ils sont sûrs de leur emprise.
Feront-elles plier le pouvoir, selon vous ?
Je ne crois pas qu’elles feront plier le pouvoir actuel. Sur le plan de l’histoire universelle des communautés étatiques, l’oligarchie sort toujours victorieuse dans les luttes qui l’opposent aux peuples. Une révolution «réussie» amène seulement le remplacement d’une oligarchie par une autre. L’oligarchie algérienne a trop d’intérêts à l’intérieur du pays comme à l’extérieur pour laisser échapper sa mainmise et confier les rênes à de nouveaux venus. Elle lâchera suffisamment de lest en fonction de la détermination du peuple pour donner le change, quitte à reprendre d’une manière ou d’une autre et le moment venu les concessions faites. C’est une constante historique qui intrigue et fascine.
Y a-t-il des similitudes entre cet élan populaire algérien et le mouvement des Gilets jaunes ?
C’est plus ou moins le même phénomène. La spontanéité hors des institutions organisées. L’étincelle et la divine surprise. Les retrouvailles avec une symbiose populaire que l’on croyait oubliée. Mais je suis malheureusement aussi pessimiste quant à l’issue du mouvement des Gilets jaunes. Je crois que le pouvoir s’en tirera avec quelques mesurettes et de la poudre aux yeux «démocratique».
Je voudrais ajouter ceci en lien avec les événements. La nation arabe n’a pas été gâtée par l’histoire. Ses faiblesses l’ont amenée à une occupation coloniale qui a retardé voire annihilé son développement économique, politique, juridique, social, culturel, etc. Les indépendances ont amené des pouvoirs locaux contraints pour toutes sortes de raisons de tenir compte des intérêts des anciens colonisateurs. En ce qui concerne l’Algérie, je crains que son destin ne dépende pas entièrement de son peuple et de ses intérêts fondamentaux. Il est probable que des forces occultes soient à l’œuvre pour amener le pays à emprunter des voies qui ne vont pas nécessairement dans l’intérêt du peuple, tant pour son équilibre qu’au niveau de l’intégrité nationale.
Propos recueillis par Mohamed El-Ghazi
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