Quelle représentativité pour la contestation populaire ?
Par Youcef Benzatat – Des initiatives à vouloir incarner la volonté du peuple à changer le système de pouvoir et d’instaurer une nouvelle République se multiplient tous azimuts et prennent souvent la forme d’initiatives singulières et isolées, sans volonté de coordination entre elles, ni même de concertations formelles ou de principe. Certaines sont individuelles et d’autres collectives. Si elles n’affichent pas encore explicitement la nature du système de pouvoir et les fondements de la nouvelle République qu’elles voudraient adopter, par calculs ou par précautions politiciennes, leurs appartenances à des courants idéologiques et politiques, religieux et identitaires, trahissent souvent le jeu de leurs alliances ou la posture de leurs apparitions publiques individuelles, tout en voulant se présenter sous des apparences spontanées et convergentes avec la volonté populaire exprimée lors des manifestations.
Tout au plus, en ce début du processus de transition vers un nouveau paradigme du vivre-ensemble, ces initiatives semblent a priori privilégier des stratégies de séduction du peuple pour capitaliser une relative légitimité leur permettant de s’autoproclamer dépositaires de la représentativité de la contestation populaire. Pour peu que l’on jouisse déjà d’une moindre popularité, dans tous les cas circonstancielle et relative, on n’hésite pas à vouloir la capitaliser en tant que faire-valoir pour l’additionner au travail de séduction en cours et se sentir en droit de représenter les aspirations du peuple au changement. Chacun tente de mettre en avant une stratégie de communication comme s’il s’agissait de marketing, avec l’objectif d’arriver à faire consensus autour de lui. Oubliant quelque peu que la révolte du peuple est dirigée en premier contre le consensus aveugle et l’unanimisme de façade. Car l’unanimité équivaudrait dans ce cas à une totalité, celle-là même contre laquelle le peuple a déclaré sa rupture.
Comme dans toute transition à cette échelle et de cette nature, le peuple doit faire face à un ordre à révoquer et un nouveau à adopter. Un personnel à disqualifier et un autre à élire comme nouveau représentant de ses aspirations. Ces aspirations étant par nature une variation infinie d’intérêts et de sensibilités, la tâche à accomplir pour les prétendants à cette représentativité ne sera certainement pas aisée devant la complexité de ces divers intérêts et sensibilités, où l’objectif à poursuivre serait de parvenir à ce que tout Algérien et toute Algérienne soient pleinement satisfaits des choix adoptés de sorte que tous et toutes se sentent représentés, sans exclusion aucune.
Dans ce cas, il apparaît en toute évidence que l’impératif absolu pour ces initiatives autoproclamées, pour réussir un tant soit peu leur mission d’accompagnement et de consolidation de ce processus de transition paradigmatique, serait une écoute exhaustive des manifestations de la volonté populaire lors de leur expression dans l’espace public pendant les marches d’affirmation de cette volonté.
Ces conditions excluent d’emblée pour tout prétendant à la représentativité de ces aspirations populaires exhaustives toute partialité et tout esprit partisan dans un quelconque fragment sectoriel, sociétal, religieux, identitaire, politique, idéologique, etc., qui composent le tissu et la configuration globale de ces aspirations populaires. Comme cela s’est exprimé collectivement et spontanément dans l’espace public lors des marches populaires ces dernières semaines, par l’exclusion des représentants des courants politiques religieux à Alger, identitaires à Paris, ainsi que les nationalistes conservateurs identifiés en tant que représentant l’ordre ancien à révoquer dans toutes les villes algériennes par des slogans ou pancartes explicitement.
D’autant que la tâche à accomplir ne consiste pas à gérer un quelconque mécontentement populaire relativement sectoriel ou conjoncturel, de mauvaise gouvernance ou de crise économique, il s’agit dans notre cas d’un véritable changement de paradigme du vivre-ensemble avec la nécessité d’une adéquation de sa représentativité, dont la consistance s’avère être plutôt révolutionnaire et sans précédent dans l’histoire du peuple algérien. Une sorte de révolution blanche où tout est à refaire. En effet, il s’agit pour la première fois dans l’histoire de notre peuple où les conditions de souveraineté et de maîtrise de son destin soient réunies, pour pouvoir se projeter dans une société choisie et non pas imposée par une volonté contraignante, autoritaire et liberticide. Il suffit pour s’en convaincre de déchiffrer les slogans et pancartes brandis lors des manifestations. Les différentes initiatives devraient s’en inspirer pour prétendre être en phase avec la volonté populaire.
Le peuple n’a pas attendu l’initiative de plateformes diverses, souvent concurrentes, pour une offre de désirs et de quêtes à atteindre. Son unité retrouvée aidant, il se sent pour la première fois acteur et non sujet dans la décision politique. Non pas seulement acteur mais principalement citoyen d’un pays qui lui appartient de plein droit, délégitimant, par conséquence, toute autre structure de pouvoir qui n’est pas l’émanation de sa propre volonté, comme c’est le cas pour le système de pouvoir en vigueur. Les différents slogans brandis pendant les manifestations de sa volonté résonnent comme un discours programme du vivre-ensemble et de souveraineté auquel il s’identifie et aspire. Ainsi, le peuple rejette tout le système de pouvoir en vigueur, y compris les indications de ce dernier pour l’accompagner dans le processus de séparation, notamment en conservant l’initiative sur l’organisation d’une conférence inclusive, la réforme de la Constitution et l’organisation d’élections à court terme. Il considère qu’il lui appartient de plein droit d’organiser par sa propre volonté cette séparation pour se consacrer par la suite à l’édification du vivre-ensemble désiré et la refondation de l’Etat et des institutions.
A cet effet, le processus révolutionnaire n’est pas en crise, comme voudraient le faire croire les plus pessimistes ou ceux qui doutent ; il est seulement orienté vers l’aboutissement de sa première phase, qui consiste à révoquer le système de pouvoir en vigueur pour avoir les mains libres et se consacrer, dans un second temps, à la deuxième phase du processus de transition et procéder ainsi de phase en phase jusqu’à l’aboutissement du changement.
Le respect de ces étapes est un gage de réussite auquel tous les prétendants à la représentativité de ce processus doivent s’y conformer, en unissant dans un premier temps toutes les initiatives autour du même mot d’ordre : la révocation du système sans lui laisser aucune initiative. Ni à lui ni à toute autre intermédiation. Le peuple veille sur la souveraineté de son initiative en toute circonstance et veut rester maître de son destin. Avec une particularité pour la première phase, celle de veiller à éviter l’effondrement de l’Etat en aval de la transmission de la souveraineté. Dans ce cas, le pouvoir en place aura la responsabilité d’organiser cette transmission et de l’assumer après sa démission, pour préserver ensemble la continuité de l’Etat et des institutions.
C’est à ce moment qu’une représentativité collégiale et légitimée par le peuple devient réellement nécessaire et impérative. En attendant, il faudra au préalable convaincre le pouvoir d’abdiquer à ses prétentions de vouloir conduire lui-même la transition. Ce que le peuple lui demande, c’est d’assumer sa responsabilité historique à transmettre le pouvoir aux représentants légitimes du peuple après sa démission effective et irréversible pour préserver la pérennité de la nation, et non pas conduire lui-même le processus de transition qui est en soi un non-sens, à partir du moment que l’on ne peut confier la conduite de cette transition à un pouvoir que l’on considère défaillant et illégitime.
La réussite de cette transition est l’unique choix qui se présente dans cette situation, pour le bonheur du peuple et pour la consolidation de la nation. On est condamnés à ne pas échouer car l’échec est synonyme de reflux et d’instabilité dangereuse. La persévérance dans l’action et la détermination sont les clefs incontournables de cette réussite. Pour peu que la pression exercée sur le pouvoir par la manifestation de la volonté populaire pour le changement demeure pacifique et en évitant de succomber aux pièges des provocateurs, tels que les actions subversives douteuses de Rachid Nekkaz ou celle des séparatistes ou de toute autre provocation présente ou à venir. Contrairement à ce que les plus pressés et les plus pessimistes prévoient en cas d’enlisement, le temps travaille au profit du peuple et non pas au profit du pouvoir car les corporations, les organisations de masse, les personnels des médias publics et des institutions de l’Etat, y compris les forces de sécurité ont déjà entamé leur ralliement au peuple. Avec le temps, ces derniers n’auront d’autre choix à leur tour que de se ranger définitivement aux côtés du changement. A ce moment, le pouvoir sera contraint à la démission, faute de pouvoir exercer son autorité.
Y. B.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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