Révolution, évolution ou simple récréation avant la réaction ?
Par Mesloub Khider – Chacun y va de sa complainte pour nous seriner que l’Algérie vit une sereine révolution. Une révolution imposée par les pacifiques balades balisées, canalisées, banalisées, sur fond de débonnaires ballades revendicatives inoffensives.
Ainsi, le noble vocable «révolution» est associé à toutes les déflagrations politiques, particulièrement celles qui s’apparentent à des pétards subversifs mouillés. A des désordres politiques éphémères. Rapidement étouffés par les manœuvres machiavéliques habituellement employées par les classes dominantes. Notamment par le recours aux élections, connues pour leur pouvoir dissolvant, leur puissance de fourvoiement, leurs vertus politiques soporifiques.
Dans l’histoire récente, on a eu droit à l’expression de «révolution de velours» pour désigner la transition de pouvoir entre la dictature stalinienne tchèque et la dictature capitaliste, autrement dit entre le capitalisme d’Etat et le capitalisme libéral. On a eu droit à l’expression de «révolution orange» pour désigner le mouvement politique de protestation contre le truquage des élections survenues en 2004 en Ukraine. On a eu aussi droit à la «révolution de jasmin» pour désigner la transition entre le pouvoir dictatorial libéral de Ben Ali et la dictature démocratique islamiste tunisienne.
Aujourd’hui, en Algérie, en cette période agitée par de phénoménales manifestations récurrentes, nous avons droit à l’expression de «révolution joyeuse». Pacifique. Pour désigner la transition entre l’ancienne clique du pouvoir et la même clique du pouvoir. Entre Bouteflika Abdelaziz et Abdelaziz Bouteflika. Entre les récents ministres biberonnés au sein du FLN, discrédités et les anciens apparatchiks du FLN exhumés de leur tombale retraite.
Force est de constater que les mobilisations massives de millions d’Algériens n’ont aucunement ébranlé le régime. Il faut reconnaître qu’il résiste à l’assaut du peuple algérien en révolte. C’est même un paradoxe que plusieurs journées de mobilisation drainant des millions de manifestants n’ont nullement déstabilisé le régime, toujours aussi fortement installé dans ses treillis protégeant son palais présidentiel et ses autres institutions étatiques. Serait-ce là la preuve qu’il ne s’agit absolument pas de révolution, mais d’une simple révolte citoyenne, appelée à rapidement s’essouffler ? Le scénario actuel plaide en faveur de ce dénouement dénué de toute transformation révolutionnaire. A moins d’un sursaut inattendu du peuple algérien auto-organisé, qui pourrait nous réserver d’heureuses surprises.
En tout état de cause, ceux qui usent du terme révolution nous abusent. A l’évidence, cet usage immodéré du vocable révolution vise à modérer l’usage de la révolution. A rendre usagé le recours à la vraie révolution. A travestir le sens de la révolution. A dénaturer la compréhension de la révolution. Paradoxalement, ce sont les mêmes qui fustigent les authentiques révolutions (1789, 1871, 1917), condamnées pour leur radicalité, ravalées à des coups d’État, qui encensent les transitions politiques réputées pour leur innocuité, rehaussées complaisamment au rang de révolutions.
Pour quelle raison inavouée et inavouable, depuis quelques décennies, les médias s’empressent-ils de qualifier tout remaniement gouvernemental violemment imposé par la rue de révolution ? Sinon dans le dessein de disqualifier la véritable révolution. Celle qui détruit l’Etat et ses institutions pour les remplacer par une nouvelle forme de gouvernance innovante, portée par la nouvelle classe émergente révolutionnaire, souvent à la suite d’une période marquée par une situation de double pouvoir. Celle qui détruit l’ancien mode de production pour instaurer de nouveaux rapports sociaux sur des fondements économiques radicalement différents.
Quoi qu’il en soit, dans tous les cas énumérés plus haut, il s’est agi d’un simple transfert du pouvoir au sein de la même classe dominante capitaliste. D’une révolution de palais. En effet, dans ces pays précités (particulièrement les fumeuses «révolutions arabes»), non seulement l’Etat et ses institutions administratives et répressives (armée et police) demeurent intacts entre les mains de la même classe dominante, mais surtout le même mode de production capitaliste continue à régenter l’économie, à régner dans ses pays. Le peuple (ou plus exactement les classes populaires) a été tenu à l’écart de ces bouleversements politiques factices, souvent commandités par les puissances impérialistes, ourdis par un clan du pouvoir. Qui plus est, peuple utilisé uniquement comme chair-à-manifester, chair-à-voter souvent pour les mêmes politiciens. Ou, dans le cadre d’une opération de lifting soigneusement prise en charge par les puissances occultes financières internationales, pour une nouvelle élite constituée d’intellectuels ou de personnalités bourgeoises issues de la société civile, tout aussi assoiffée de pouvoir, attirée uniquement par les prébendes offertes par les sinécures gouvernementale ou parlementaire.
Au reste, pour les peuples de ces pays précités, notamment la Tunisie et l’Egypte, leurs conditions sociales n’ont connu aucune amélioration. Bien au contraire : elles ont subi une vertigineuse dégradation.
Quoi qu’il en soit, certes, en Algérie, il s’agit de l’ouverture d’une nouvelle ère marquée par un soulèvement inédit contre le système. Contre la minorité des dirigeants du régime despotique qui contrôle le pouvoir et s’accapare les richesses. Mais, au-delà du rejet du système, on n’observe aucune volonté de transformation radicale de la société algérienne, sinon la revendication de changement de la classe politique. La tenue d’élections libres. Or les élections, surtout en période pré-révolutionnaire, ont pour rôle de désamorcer la crise, de garantir la paix sociale, donc d’imposer le maintien de l’ordre établi. Ordre dominé par le même système économique capitaliste et le même mode de représentation électorale dans le cadre de la république (laïque ou islamiste) bourgeoise. Au reste, l’histoire récente (Egypte, Tunisie, etc.) nous enseigne que, quelle que soit l’issue du suffrage, l’élection est toujours remportée par des candidats qui demeurent des politiciens au service du capital, aspirant à opprimer le peuple.
En tout état de cause, les élections, la démocratie représentative, bien qu’appuyées par l’émergence d’une nouvelle classe politique algérienne, ne pourront résoudre aucun des problèmes fondamentaux auxquels est confronté dramatiquement le peuple algérien. Car les causes profondes du soulèvement actuel, quoique étouffées par les doléances politiques du départ du régime, demeurent sociales et économiques ; elles sont insolubles dans le cadre du maintien du système capitaliste : chômage, production atone, précarité, misère, inégalités sociales, oppression, exploitation.
Actuellement, les manifestations massives en Algérie se cantonnent à la seule dimension politique réduite à sa plus expression : «Régime dégage» ; comme si, paradoxalement, les instigateurs de ce soulèvement ont délibérément évité de placer la lutte sur le terrain des revendications sociales et économiques, susceptibles d’orienter la révolte vers la confrontation de classe débouchant sur une réelle révolution. En effet, il faut souligner l’absence de la double dimension présente dans les précédents soulèvements populaires : l’exigence démocratique assortie de radicales revendications sociales subversives. Aujourd’hui, cette dernière dimension sociale est occultée par la principale requête politique limitée à la sommation de la fin du système, autrement dit le départ du régime. Toutefois, par «fin du système», il faut entendre la fin du régime politique dominant actuel. Et non la fin du système économique capitaliste prédominant en Algérie. Sur ce chapitre social et économique, il ne faut s’attendre à aucune transformation. Les conditions de vie des classes populaires ne connaîtront aucune amélioration.
De toute évidence, le régime algérien sait sonner le moment venu la fin de la récréation. Surtout si le chahut tend à se prolonger de manière démesurée et «irresponsable», à se métamorphoser en manquement aux règles imposées par l’ordre établi. Quand le bavardage se mue en désobéissance sociale. Quand le peuple se résout à ne plus se comporter en enfant docile. Résolu à prendre en main les rênes de son existence politique, économique, sociale. En un mot, à s’affranchir de toute tutelle étatique dominante et oppressive. Pour s’auto-organiser sur des formes de gouvernance horizontales, dans une économie égalitaire gérée par l’ensemble de la population laborieuse algérienne.
A l’évidence, la partie n’est pas gagnée. Le régime n’a jamais désarmé. L’impotence du pouvoir ne présume en rien de sa détermination de réaction. Comme en Egypte, au Venezuela, au Nicaragua et même dans la France «démocratique», où ces régimes aux abois ont prouvé de quelle férocité répressive ils sont capables, tout laisse présager que le régime algérien n’aura d’autre solution de sortie de crise que la répression.
Il revient au peuple algérien révolté contre le système d’éviter cette sanglante perspective au moyen de son auto-organisation politique, sociale et économique à l’échelle nationale, lui accordant ainsi une force collective de résistance inébranlable, invincible.
Quoi qu’il en soit, le peuple algérien, à l’orée de son soulèvement, sans son auto-organisation en dehors des institutions établies, dans le cadre de nouvelles structures politiques innovantes instaurées dans chaque ville et village, totalement contrôlées par ses représentants élus et révocables à tout moment, ne bénéficiant d’aucun privilège ni d’appointements excédant le salaire moyen, sur la base d’un programme économique et social égalitaire et d’une égalité des sexes, dans le respect de la liberté de conscience, devrait s’attendre à endurer l’échec de sa balbutiante révolution encore en gestation.
M. K.
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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