Le loup qui cache la meute
Par Mohand Ouabdelkader − Elle ne fait pas dans de la dentelle. La broderie n’est pas son passe-temps favori, mais le patchwork semble l’enivrer, elle s’en inspire. Quand elle n’aime pas, elle cisaille, détricote et anéantit d’un tour de main tous ceux qui ne s’assemblent pas à ses desseins, ne ressemblent pas à tous ses pantins, amis oligarques et affairistes concubins, qui donnent de la couleur à ses macabres festins.
La meute a sonné le glas. Elle ne peut continuer à soutenir une loque et un régime sans froc. Elle veut un interlocuteur avec une grenade dans la main.
Quand le peuple, chaque vendredi, dit : «Dégagez tous», Gaïd-Salah évoque un article de plus de la Constitution. Une Constitution qui n’a rien de constitutionnel, depuis que les clans au sein du pouvoir se la partagent comme une vulgaire concubine, le temps d’une orgie. Ils n’ont jamais autant parlé d’elle. A la une de tous les discours pro, pré et après-pouvoir d’un clan ou d’un autre, qui se veulent tantôt sauveur, le plus souvent vengeur.
Qui de ces clans mouvants croit réellement à la démocratie quand on sait que le pays, dès son indépendance, n’a pas été bâti à partir de ses forces vitales, aussi diverses que variées, mais sous le rythme effréné et successif de coups d’Etat, de coups d’éclat et de coups bas ? Personne de ce sérail n’y croit, pas plus que ceux qui, dans un passé pas si lointain mais assez proche d’une autre génération, qualifiaient le peuple de «ghachi» (foule) et d’autres de «gâchis». Les clans ont toujours été la trame de fond ou le sable mouvant sur lequel la question du devenir révolutionnaire du pays se confondait et s’enlisait dans les dédales des calculs politiciens, des alliances, des divisions et des trahisons. La légitimité historique, qui n’a de légitimité, que l’hystérie d’une poignée de décideurs politico-militaire a façonné ses clans à son image. A chaque clan son histoire et à chaque histoire sa trajectoire, avec les réflexes sémantiques qui s’en dégagent, chaque fois que le pouvoir réel est mis en danger.
Gaid Salah n’a pas plus de crédit que le moins indigeste du régime dont il est un des artisans. Quand le peuple dit : «L’armée et le peuple khawa khawa», c’est bien entendu de l’armée du peuple dont il est question et non pas l’armée des comptes offshore et des conteneurs dans les ports. Mais dans une situation pareille, où la survie du régime ne repose pas sur les clans, mais sur des individus issus de clans aussi bavards que muets, Gaïd-Salah essaie de refonder une alliance militaro-politique. Le genre d’alliance qui leur a valu, à eux, tant de longévité, et à nous tant de sacrifices. Souvenons-nous de toutes les alliances macabres que ce régime a réussi à tisser comme une toile de cire sur les révoltes anciennes : le Printemps berbère et la main-forte des islamo-baathistes, Octobre 88 et l’ouverture contrôlée des libertés, la décennie noire et la pénombre dans laquelle ils ont plongé tout un pays : islamistes et gradés du régime ensemble.
De toutes ses luttes, le peuple a été seul et le seul à payer de sa chair les accointances du régime.
Aujourd’hui, face à la détermination du peuple, nous assistons, de la part de l’ensemble des clans qui ont façonné le pays depuis plus d’un demi-siècle de pouvoir à la politique spectacle, ou plutôt au spectacle qui se donne en politique, avec en primeur, tous les jours, une démonstration mélodramatique de l’état de décrépitude, de peur et de décomposition du régime, Gaïd-Salah en premier.
Aucun article de la Constitution, pris séparément, ne peut répondre entièrement aux revendications qui alimentent le combat du peuple et ses luttes successives, depuis la confiscation de l’indépendance du pays, que s’il balaie, dans son sillage, tous les artisans de ce régime mafieux. Bouteflika, Haddad, Ouyahia… la liste est longue − elle tient ses racines de la Guerre de Libération − ne seront que des loups de moins dans la maison Algérie. Il nous faudra tous les loups si nous voulons sauver le pays. Le pouvoir réel n’a pas trop de choix à faire. Ou plutôt, parce que ce pouvoir a compris que, quand il n’a plus le choix, il change de main. Le changement dont aspire Gaïd-Salah n’a pas comme résonance l’abandon de toute velléité de perpétuer le système, mais, bien au contraire, il aspire à reconduire les mêmes schémas d’adaptation, de prédation. On reforme les alliances et on continue.
Il ne faut voir, dans le retournement subit de Gaïd-Salah sur Bouteflika et sa suite, que le fil blanc qui coud le patchwork de la junte sur la révolution qui déteint, chaque vendredi, un peu plus, alors que le pouvoir d’Alger s’étouffe et se débat. Le roi Abdelaziz ne mourra plus sur le trône, comme Al-Assad sur le sien, mais le régime, dont l’espérance de vie semble aller à vau-l’eau, cherche à redonner du souffle à une dictature qui égrène ses derniers jours, mais espère rebondir avec, à la main, un nouveau monstre ou une fatwa. Pourquoi pas ? Ben Salmane, le boucher de Khashoggi, a bien réussi, sous les applaudissements de la communauté internationale, à tuer un opposant et le mettre en pièces pour ensuite le rapatrier et le donner en offrande au roi.
Cette révolte, le peuple l’a couvée longtemps pour qu’on ne l’étouffe pas dans l’œuf. Il l’a couvée pour que ni un ventriloque de l’armée ni un Hamadache, le sabre en apnée, ne la travestissent pour en faire des geôles et des barbelés, ou encore des pelotons d’exécution sur les places publiques et au pied des mosquées.
M. O.
NDLR : les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
Comment (9)