Interview – Soufiane Djilali : «Gaïd-Salah se voit en sauveur de la nation»
Algeriepatriotique : Après la formation d’un gouvernement de transition, la Présidence vient d’annoncer la prochaine démission du président de la République mais précédée de décisions importantes. Serait-ce la fin de la crise ?
Soufiane Djilali : En effet, les événements s’accélèrent et viennent même de basculer vers une issue qu’avait indiquée le mouvement citoyen, soit le départ de Bouteflika en particulier et du régime en général. Le départ annoncé de Bouteflika ainsi que de ses proches signe la fin d’un premier acte. D’ici le 28 avril, nous aurons une idée des rapports de force qui orientent les événements. Nous saurons à quel point la rue aura réussi à imposer sa logique face au pouvoir et si l’un des deux clans en lutte ouverte maintenant saura récupérer la mise ou, au contraire, ce sera la fin de tous.
De quels clans parlez-vous ?
Il est évident aujourd’hui que nous avons face à face le clan présidentiel et le clan du vice-ministre de la Défense. Ce dernier a fait intrusion – j’allais dire – avec les gros sabots, dans la crise politique.
Il commence par demander l’application de l’article 102 de la Constitution. Puis, il recourt aux articles 7 et 8 pour atténuer les critiques des citoyens qui refusent la perpétuation du système sous couvert de la légalité constitutionnelle. Si l’article 7 se réfère au peuple comme source de souveraineté, l’article 8 l’annule en précisant que le peuple souverain s’exprime par le biais de ses représentants élus. Ainsi, Gaïd-Salah nous dit oui au peuple mais ce sont les députés qui fixeront les règles du jeu. C’est tout simplement un jeu de dupes. En réalité, le chef d’état-major se voit en sauveur de la nation. Il veut contrôler le processus de transition en gardant la main sur les futurs acteurs politiques tout en se débarrassant du clan présidentiel. Ses manœuvres sont pour le moins peu subtiles. Des communiqués ressemblant à ceux d’un «Politburo» se succèdent et rajoutent des couches à la confusion générale. Des accusations gravissimes sont lancées à la criée. A cette expression débridée s’ajoutent des manipulations de grande ampleur et de bas niveau avec la complicité de médias peu scrupuleux. Des figures préfabriquées lui apportent maintenant ostensiblement leur soutien. Pourtant, le subterfuge est visible et de loin. D’un côté, le chef d’état-major reconnaît la vacance du pouvoir et les médias qui le soutiennent affirment que le frère du Président a usurpé l’autorité présidentielle. Mais, de l’autre, il consent à être désigné par cette même autorité dans ce dernier gouvernement comme vice-ministre de la Défense.
Cette incohérence politique n’est que le reflet d’une grave incompétence politique. Mais, voilà, le sérail composé par Bouteflika est de nature à changer sa fidélité et ses convictions au gré de ses intérêts immédiats. Le retournement de vestes est leur spécialité.
Vous critiquez le chef d’état-major alors qu’il semble tout faire pour répondre aux exigences des Algériens et à vos propres propositions de voir le Président quitter ses fonctions…
A Jil Jadid, nous avons toujours été dans l’opposition au régime de Bouteflika. Gaïd-Salah en a été le protecteur zélé. Jusqu’à très récemment, il soutenait mordicus le 5e mandat et il était, semble-t-il, à l’origine du 4e. Maintenant que le peuple impose sa volonté, celui-ci veut récupérer le mouvement. Bouteflika et son clan sont finis. Mais il n’est pas question pour nous de tomber de Charybde en Scylla. Il n’est pas question que le peuple qui vient de sauver le pays des griffes d’un clan autocratique tombe entre les crocs d’une autre partie de ce régime de prédateurs. En un mot, Gaïd-Salah doit partir dans le même wagon que le reste des symboles de ce pouvoir. Il a été un complice actif dans les décisions politiques qui ont abouti à cette situation chaotique. Il serait mal venu qu’il se présente comme une alternative.
Avez-vous espoir pour une issue rapide à cette crise ? Et comment pourrait-elle être concrétisée ?
Vous savez, en à peine quelques semaines, l’échiquier politique algérien a été renversé. Le mouvement citoyen a été si puissant que le régime est en train d’être déraciné. Oui, j’ai très bon espoir que les choses évoluent rapidement malgré les secousses qui ne manqueront pas de survenir. Après l’annonce du départ du Président, il reste à acter la sortie de la vie politique du reste du régime par le biais d’une période de transition sous l’autorité de personnes dont la moralité politique devra être au-dessus de tous soupçons, préparer les conditions pour un retour rapide à la légitimité populaire et reconstruire, tous ensemble, la nouvelle République. La Constitution actuelle ne répond pas aux exigences de l’heure. Ses dispositions relatives à l’organisation politique du pays sont maintenant caduques. Il s’agit d’inventer de nouveaux mécanismes de gestion politique du pays. Le peuple veut choisir ses dirigeants. Il faut que la phase de transition réponde à cette volonté populaire en mettant en place les règles du jeu démocratique. Alors, les Algériens diront clairement et dans la transparence quels seront leurs représentants, à tous les niveaux de la responsabilité politique.
Entretien réalisé par R. Mahmoudi
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