Escalade à Tripoli : Rome veut parer au plus urgent
De Rome, Mourad Rouighi – L’audition du chef de la diplomatie italien, Enzo Moavero Milanesi, ce mardi, devant le Sénat, qui sera consacrée à la brusque détérioration de la situation à Tripoli, est très attendue dans la péninsule tant par la majorité soutenant le gouvernement de Giuseppe Conte que par l’opposition de gauche; cette dernière étant bien décidée à mettre en évidence les tiraillements internes du cabinet italien en matière de politique étrangère.
L’escalade en cours en Libye et l’avancée du maréchal Khalifa Haftar sur l’ouest du pays semblent en effet conforter l’opposition, qui est d’avis que la gestion de ce dossier exige des mises au point urgentes et des réponses exhaustives, surtout que le personnel italien de l‘Eni a été évacué hier en catastrophe.
Par conséquent, Moavero Milanesi, qui jusqu’ici avait pu s’extraire de la confrontation quasi quotidienne entre les deux âmes de la coalition au pouvoir (Ligue du Nord et Mouvement des 5 Etoiles), avec l’habileté qui lui est reconnue par tous, devra ce mardi s’expliquer et surtout convaincre.
Il devra illustrer à une coalition divisée sa stratégie pour la Libye et expliciter de la manière la plus claire une position définitive suite à cette brusque escalade militaire.
A cet effet, les observateurs les plus aguerris penchent pour un subtil repositionnement de Rome, se drapant derrière un wait and see prudent, avec comme marque de bonne volonté vis à vis des uns et des autres l’appel aux parties belligérantes de faire prévaloir la voix de la raison et l’intérêt suprême du peuple libyen.
S’agissant de la guerre acharnée que se livre depuis des années Rome et Paris, le ministre italien aura à cœur de vider de toute substance les accusations proférées depuis Paris, du vice-premier ministre Matteo Salvini, qui a accusé ouvertement le président français, Emanuel Macron, d’avoir délibérément mis le feu en Libye ; Moavero Milanesi dira en outre qu’il insistera auprès des autres pays intéressés par ce dossier de parer au plus urgent, de sorte à faire taire rapidement le bruit des armes tout en écartant les implications d’ordre politique et diplomatique que d’aucuns à Rome veulent donner à cette question et, notamment, celles liées à la guerre larvée que se livrent la France et l’Italie au sujet de ce pays, et ce, à deux mois des élections européennes.
Par ailleurs et faisant valoir son rôle de recours ultime en matière de politique extérieure, le premier ministre italien, Giuseppe Conte, a préféré confier à ses proches conseillers le soin de clore cette polémique en coulisses, et ce, après avoir affirmé que son pays ne fera pas manquer son soutien aux efforts de la communauté internationale et le plan de Ghassan Salamé et que le recours aux armes ne fera qu’aggraver le quotidien des citoyens libyens.
Cela dit, cette communion de principe ne doit pas pour autant occulter deux vérités : la première, c’est que trois jours avant le début de cette avancée sur l’Ouest libyen, et de source sûre, Rome dépêchait le numéro deux du renseignement extérieur italien, le général Giovanni Caravelli, à Tripoli, qui, de toute évidence, ne pouvait ignorer les intentions belliqueuses du maréchal Haftar, lui qui le connaît si bien pour l’avoir convaincu, in extremis, de participer au récent sommet de Palerme, c’est dire que les plans B étaient déjà à portée de main. La deuxième et la plus importante vérité, ce sont les fortes pressions exercées par le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, sur Giuseppe Conte, l’invitant en quelque sorte «à se repositionner et à prendre acte de la prochaine évolution de la situation dans la partie ouest du pays».
Enfin, autre élément qui inviterait, selon un expert, à plus de prudence la diplomatie italienne, l’influence du monde économique, qui, par voie de presse, n’a de cesse de rappeler de manière nuancée à Giuseppe Conte que l’Italie est le premier partenaire commercial de la Libye, qu’elle détient une bonne partie de sa dette extérieure et que, par conséquent, tout entêtement à vouloir gêner l’action des uns au profit d’éventuels canaux préférentiels – le chef du gouvernement d’union nationale Fayez Al-Sarraj – risquerait de se révéler contreproductif à moyen et à long terme, d’où l’importance de ménager l’avenir, d’autant que tout prête à penser que les tout prochains jours décideront de l’horizon politique de ce pays.
M. R.
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