Révolutions populaires : comprendre la débâcle de l’Ukraine en 2014 pour éviter les pièges
Par Dr Hocine-Nasser Bouabsa – Les stratégies subversives de déstabilisation des états ne sont pas une chimère mais une réalité et un outil des guerres modernes. Ces stratégies, élaborées par des laboratoires spécialisés, sont continuellement révisées, ajustées et adaptées suivant les circonstances, les développements et les conjonctures. Elles incluent des scénarios divers et mobilisent des moyens apparents, connus par le public – comme les médias et les canaux diplomatiques – mais aussi des moyens secrets, propres à l’action souterraine des services de renseignement et d’espionnage.
Un exemple typique du déploiement de ces stratégies est ce qu’on appelait la «révolution orange» en Ukraine, dont l’objectif consistait en réalité :
- à soustraire ce pays de la sphère d’influence russe,
- de déplacer la ligne de démarcation entre les forces de l’Otan et les forces russes, le plus loin possible vers l’Est, donc si possible jusqu’à la frontière russe et c) de tester la réaction et la force de dissuasion de l’armée russe. Bien sûr, pour les faux prophètes de la démocratie à géométrie variable, comme le sulfureux BHL, il s’agissait uniquement d’aider le peuple ukrainien à se débarrasser du pouvoir corrompu de Viktor Yanoukovitch.
En fin de compte le peuple ukrainien est sorti perdant sur toute la ligne, car :
- il a perdu la Crimée et le Donbass (un territoire plus grand que l’Autriche et la Suisse ensemble),
- le pouvoir de l’oligarque Viktor Youchtchenko, le vassal de l’Occident, est encore plus pourri que celui de Yanoukovitch,
- une crise économique encore pire qu’elle l’était avant la révolution, lorsque Gazprom livrait à l’Ukraine du gaz à un prix largement subventionné par l’Etat russe.
L’Algérie, étant traditionnellement un pays réfractaire aux politiques néo-impérialistes de prédation, ayant échappé à l’agression du «printemps arabe», se trouve depuis quelques années dans le top de la liste des pays sur lesquels se focalise l’attention d’officines au service des forces prédatrices occultes et de leurs vassaux régionaux. Ces officines guettent les occasions opportunes pour déclencher leurs plans et leurs actions subversifs. L’échéance présidentielle d’avril 2019 – d’ailleurs comme en Ukraine en mars 2014 – en était une, en raison des enjeux stratégiques et économiques, qui en découlent. Un Bouteflika malade et grabataire était pour eux le candidat idéal pour consolider et élargir leur OPA sur les ressources de la nation algérienne.
Connaissant bien le rejet profond qu’éprouve le peuple algérien envers toute ingérence étrangère dans ses affaires internes, ces officines ne pouvaient avoir de choix que d’opter pour une retenue d’apparence et une stratégie de marionnettiste qui consiste à sous-traiter à des agents félons et des oligarques locaux (semblables à l’oligarque ukrainien Youchtchenko), en promettant aux uns un rôle politique vassal et aux autres des affaires juteuses au détriment de l’économie et l’industrie nationales. Un tel scénario est plausible et devrait être pris au sérieux par le peuple et élites patriotiques.
Le fait qu’une partie considérable de la jeunesse algérienne ait épousé si facilement une démarche politique élaborée par des inconnus sur les réseaux sociaux de la toile web est non seulement très inquiétant et consternant, mais suppose surtout que les meneurs virtuels qui ont allumé la mèche du mouvement citoyen – dont les demandes de changement du système de gouvernance sont faut-il le souligner avec force, justes et légitimes – sont des spécialistes de la subversion, de l’influence des masses et des techniques pointues de la Toile. Ça nous rappelle les schémas utilisés en Ukraine, où en 2014 la place Maidan, à Kiev, jouait le même rôle que la place de la Grande-Poste à Alger en 2019.
L’intensité de cette subversion fortement entretenue sur la Toile – comme ce fut aussi en Ukraine – et flanquée subtilement par un média électronique qui diffuse en continu des informations en langue française, savamment distillés sur les événements depuis le 22 février est telle, qu’elle a phagocyté d’une façon inédite, la vie politique algérienne, depuis huit semaines. Elle a fait vaciller un pouvoir affaibli par les luttes intestines et a presque anéanti l’opposition politique traditionnelle. Je ne vais pas m’attarder sur les raisons socio-psychologiques qui sont à l’origine de ce phénomène, mais préfère plutôt orienter les projecteurs des lecteurs sur les questions suivantes : qui a allumé la mèche du mouvement citoyen du 22 février 2019, appelé Hirak ? Pourquoi veulent-ils rester anonymes ? Quels sont leurs objectifs ? Qui financent leurs activités ? Contrôlent-ils toujours les événements ? Sont-ils en mesure d’offrir une alternative politique aux Algériens ?
Qui est derrière le Hirak ?
Pour les Algériens et Algériennes ordinaires, peu d’informations sont disponibles sur les géniteurs réels et sur la structuration du Hirak. N’empêche, les premiers rassemblements du 22 février laissaient clairement apparaître des critères organisationnels évidents. Ils ne s’agissaient pas donc d’individus qui se rencontrés accidentellement mais de petits groupes organisés avec une logistique, des mots d’ordre et des slogans, dont les plus déterminants étaient «Silmya, silmya», «Echaab, Chorta, Khawa, Khawa» ou «Echaâb, Djeich, Khawa, Khawa». Ce degré d’organisation écarte l’idée qu’il n’y avait pas derrière les marches du 22 février un genre d’état-major clandestin.
Passé cet événement historique, les choses ont pris une autre tournure, au grand dam des mauvais esprits, et au bonheur du peuple algérien, qui s’est immédiatement et sans hésiter, emparé de sa propre cause. Pour le moment, le Hirak ressemble plus à une nébuleuse qu’à une organisation structurée qui encadre la société civile. Il ne possède ni leader ni direction apparents. Ce qui rend toute négociation et tout dialogue entre lui et le pouvoir impossibles. Certaines personnalités, tels que l’avocat aux visages multiples, Mokrane Aït Larbi, ont essayé de s’engouffrer pour combler le vide, mais ces personnalités n’ont ni mandat, ni légitimité.
Vu l’ampleur qu’ont prise les manifestations populaires, le rôle du Hirak initial semble donc dépassé. Ses géniteurs ne sont plus les acteurs déterminants. Nous ne sommes plus dans une logique d’orientation unipolaire contrôlée mais dans une dynamique populaire multipolaire, difficilement contrôlable, elle-même sujet à des manœuvres d’influence et de récupération venant de plusieurs parties hostiles aux intérêts du peuple algérien. En face de ces forces hostiles nous trouvons l’ANP avec ses différents services. Cette dernière est dans l’obligation et dans le droit – vu son rôle définit par la Constitution – d’élaborer et de mettre en œuvres toutes les stratégies nécessaires pour contrecarrer l’action de toutes ces forces du mal qui s’échinent à déstabiliser la nation algérienne. Il lui incombe d’éclairer son unique mandataire – le peuple algérien – sur ce sujet très sensible. Sans pour autant essayer de dévier la dynamique nationale de rénovation de l’Etat et du système, pour éventuellement la manœuvrer vers un retour au statu quo qui ne pourrait être que suicidaire. Au contraire elle doit la soutenir et l’encourager.
Dans mes prochaines contributions j’y reviendrai pour essayer de traiter le reste des questions.
H.-N. B.
NDLR : les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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