Manifestations versus régime
Par Ahmed Zerrouk – Le peuple algérien, les Algériens et les Algériennes ont dit leur mot depuis le 22 février 2019 et l’ont scandé et martelé dix semaines durant, chaque vendredi. Massivement, en toute liberté et démocratie. La cité a repris son pouvoir, ses attributions et veut déterminer son futur face à des gouvernants qui se sont imposés à la volonté populaire et ont voulu façonner l’opinion publique pour assouvir leurs propres desseins, leurs propres intérêts.
Le clientélisme, la cooptation, la corruption, le trafic d’influence, le népotisme, l’enrichissement illicite et l’appropriation des institutions de l’Etat par une désignation sans fin, sont autant de constantes indérogeables des détenteurs du pouvoir. Ce dernier est devenu, ainsi, une source «licite» d’enrichissement et non une charge et un devoir pour servir son pays et être au service de ses concitoyens, en toute honorabilité, respectabilité et responsabilité.
Aujourd’hui, notre pays, l’Algérie, est à la croisée des chemins. Aujourd’hui, c’est une révolution pacifique dans son déroulement et ferme dans ses revendications, dans ses exigences. Aujourd’hui, c’est une révolution portée par la jeunesse qui a été marginalisée et mise à l’écart et qui se déroule chaque jour avec son point culminant le vendredi de chaque semaine. Quelle belle rencontre entre le sacré et le vécu quotidien !
Aujourd’hui, cette révolution où il n’y a ni insurgés ni troubles, se veut être rassurante et pondérée mais ferme et engagée dans ses revendications légitimes de départ du régime, autrement dit des figures du système mis en place, depuis la révision constitutionnelle du 15 novembre 2008, qui a mis fin à la disposition constitutionnelle de la rééligibilité une seule fois du président de la République (article 74/2e alinéa de la Constitution du 28 novembre 1996).
La maîtrise de soi, l’assurance et la détermination du peuple, notamment des jeunes, doivent être salués à leur juste mesure et à la hauteur du civisme et de l’élégance de la posture dont le vaillant peuple algérien et sa jeunesse ont fait et font preuve.
La première caractéristique, à mon humble avis, qui est un exemple pour le monde, c’est le déroulement sans violences, sans troubles à l’ordre public et sans atteinte aux personnes et aux biens publics ou privés – ici, il y a lieu de relever, après quelques dépassements des forces de l’ordre, l’engagement du vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire, qui a déclaré avoir donné «des instructions claires et sans équivoques pour la protection des citoyens, notamment lors des marches» – de cette révolution atypique, de cette révolution de bonne volonté et de paix, où chaque Algérien et chaque algérienne veulent construire, bâtir un Etat démocratique, un Etat de droit, effectif et réel, un Etat où les valeurs priment et non la corruption, le népotisme et le clientélisme. C’est, également, une révolution en lien avec son temps, les réseaux sociaux et l’interconnexion.
Cette révolution a rendu sa fierté aux fils et aux filles de ce pays qui a payé un lourd tribut pour recouvrer son indépendance, laquelle, hélas, a été confisquée par des néo-colonisateurs nationaux ; ces derniers ont voulu et ont pu asseoir une mainmise sur les richesses du pays et ont gouverné pour leur propre compte, leur propre famille et celui de leurs amis et alliés.
Je reconnais et j’atteste, volontiers, que certains de ces gouvernants ont agi de bonne foi et ont exercé leurs attributions au profit du peuple et non contre lui. Mais ils sont une exception et l’exception confirme la règle.
Aujourd’hui, les fils et les filles de notre chère Algérie, dans une communion totale, avec leurs aînés, les chouhada et les dignes moudjahidine, veulent s’approprier leur avenir et destin. L’emblème national et l’amour de la terre Algérie sont devenus le dénominateur commun de toute la population. L’aspiration à instaurer un Etat réellement démocratique et républicain, où les détenteurs de responsabilités sont au service du peuple et non à leur propre service pour s’enrichir et s’approprier la chose publique.
Le peuple algérien a prononcé son verdict. Il appartient au régime en place de dégager, de partir, ce qui ne veut absolument pas dire qu’il faut passer par un écroulement des institutions de l’Etat. Il faudrait faire, d’une part, la différence entre les personnes qui ont confisqué pour leur propre intérêt et celui de leurs amis et alliés les fonctions exercées et, d’autre part, l’institution qu’ils ont dirigée ou qu’ils dirigent toujours.
Par ailleurs, je crois que des parties au pouvoir veulent pousser à l’essoufflement des manifestations, en alimentant cette révolution par des faits, à l’instar de la désignation du nouveau président du Conseil constitutionnel et la rencontre à laquelle a appelé le chef de l’Etat, lui-même décrié par les manifestants comme symbole du régime en place, avec des personnalités nationales.
Comment ? En tergiversant et en misant sur le mois sacré du Ramadhan (la nuit du doute est fixée pour le 5 mai) et la fatigue des jeuneurs en marchant sous une température caniculaire, d’une part, et d’autre part, sur les départs en vacances au cours des mois de juin, juillet et août.
Je crois que ce sont des manœuvres dilatoires et il faudrait s’attendre à d’autres actions pour essayer de briser la volonté des manifestants et mettre en place un régime bis-repetita, avec d’autres figures, d’autres comparses, d’autres personnes serviles et soumises.
Au fait, l’actuelle équipe qui dirige l’Etat est composée de personnes liées directement ou indirectement au président démissionnaire et/ou à son frère. Où est le changement demandé par la population et exprimé par les manifestations qui se déroulent sur l’ensemble du territoire national ? Point de changement. Point de rupture. Tout est dans la résilience de ce pouvoir honni par la population et qui veut par tous les moyens, y compris la mue, se perpétuer et continuer ses activités prédatrices contre la nation tout entière.
Alors, la corruption, la gabegie et l’accaparement des richesses nationales continueront.
A. Z.
*) Colonel à la retraite, ancien cadre au ministère de la Défense nationale
NDLR : les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.