L’affaire Regeni continue d’empoisonner les relations entre Rome et Le Caire

Regeni
L'enquête sur la mort de Giulio Regeni traîne depuis deux ans. D. R.

De Rome, Mourad Rouighi – Se faisant l’écho d’humeurs politiques de plus en plus insistantes, la presse italienne s’interroge sur  l’actuelle posture du gouvernement égyptien qui, à deux ans de la disparition du jeune étudiant Giulio Regeni et de l’affaire d’Etat qui s’en est suivie, tarderait à satisfaire les appels pressants de justice et de vérité. C’est ce qu’affirment plusieurs médias selon lesquels, le président Abdelfattah Al-Sissi pourrait, s’il le voulait, accepter un dénouement satisfaisant susceptible de clore une question qui  continue de jeter un froid sur la relation pourtant solide entre le Caire et Rome, qui de surcroît intervient à un moment où les deux capitales ont à gérer nombre de dossiers cruciaux.

Pour mieux cerner les contours de cette affaire, un bref rappel des faits : un jeune étudiant mandaté par le Girton College de Cambridge est envoyé, en 2014, en Egypte pour mener des recherches sensibles sur les syndicats ouvriers indépendants – en majorité ceux  appartenant à la communauté copte orthodoxe – et tenter de les fédérer avec des ONG internationales ; fin janvier 2016, ce jeune chercheur est retrouvé, sans vie et à moitié nu, au bord de la route, non loin des célèbres pyramides de Gizeh.

Les conclusions de l’autopsie égyptienne n’ayant jamais été rendues publiques, certaines sources, tant en Italie qu’en Egypte, pointèrent d’emblée du doigt des officines appartenant aux Frères musulmans qui auraient agi sous couverture, pour mettre en difficulté le gouvernement égyptien et les relations entre l’Italie et l’Egypte. Mais cette hypothèse fut très vite réfutée par les parents de Regeni et une partie de l’establishment politique italien, qui depuis exige toute la vérité sur ce qui est communément désigné dans la péninsule par «l’affaire Regeni».

Le Premier ministre, Giuseppe Conte, qui mesure pleinement les risques d’un raidissement du débat interne sur cette question, a saisi l’occasion du récent sommet des Nouvelles routes de la soie,  tenu  à Pékin, pour avoir un long entretien avec le président Al-Sissi où il fut question entre autres, des enquêtes en cours, des attentes italiennes et des réponses égyptiennes, qui seraient  «en deçà de ce qu’ a lieu d’espérer Rome».

Le Premier ministre italien, qui sait également  que son opinion publique guette des avancées et que l’opposition s’est désormais emparée de la question, ne pardonnera aucun égarement ni  compromis au rabais. Mais raison d’état oblige, ses conseillers poussent pour que les deux diplomaties, sur au moins trois dossiers, entament sans tarder une concertation au plus haut niveau entre les dirigeants des deux pays.

Tout d’abord, sur la question libyenne, Rome voudrait qu’Al-Sissi convainque le Maréchal Khalifa Haftar de surseoir sur son projet de conquête de Tripoli et accepte de revenir à la solution négociée et au plan de paix de Ghassan Salamé et nous dit un expert, seule l’Egypte a les arguments politico-militaires pour ramener à la raison le dirigeant libyen.

Autre chapitre urgent, celui du projet de «Méditerranée élargie» si cher à Donald Trump et où les deux pays sont appelés à jouer un rôle crucial ; or, exemple parmi tant d’autres, aussi bien Rome que Le Caire s’opposent à la volonté de la Maison-Blanche d’envoyer des troupes en Syrie et d’armer les milices kurdes, ce qui, aux yeux des deux pays, aurait un effet dévastateur sur toute la région. D’où le besoin de coordonner l’action de dissuasion et de mettre en avant les outils d’une approche conjointe moins risquée.

Enfin, la coopération énergétique, revigorée par l’importante découverte de l’ENI du gisement Zohr, est quasiment au point mort, précisément en raison des retombées de l’affaire Regeni, qui selon Il Corriere della Sera, continue d’empoisonner le climat entre les opérateurs des deux pays. Sur ce point précis, l’Italie voudrait compter sur l’Egypte et surtout sur l’Algérie, pour mieux contrer le projet de gazoduc israélo-chypriote Eastmed.

On le voit, nous avons là un cadre général très dense, qui néanmoins peine toujours à ébaucher des solutions en raison du blocage diplomatique créé par l’affaire Regeni. Faute de substantielles avancées sur l’enquête en cours, ce dossier risque de plomber toute projection constructive sur les plans bilatéral et régional.

M. R.

Commentaires

    Re-Med
    1 mai 2019 - 15 h 35 min

    Sans aucun doute une affaire d’espionnage sous couvert Cambridgien qui a mal tourné.

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