Dernière ruse du système pour dialoguer avec lui-même
Par Youcef Benzatat – Rien n’y fait devant la détermination du peuple à vouloir défaire définitivement ses chaînes et s’approprier son territoire. «Le pays est à nous et nous n’entendons appliquer que notre solution», répètent en chœur les manifestants de vendredi à vendredi. Pendant ce temps, le système ne désarme pas. Tous les mardis, une nouvelle reformulation de la même solution est proposée et sitôt rejetée. Provoquant son orgueil par des réactions de désinformation, intimidations, manipulations, allant jusqu’à des menaces à peine voilées, contre tous ceux qui rejetteraient ses solutions, notamment le rejet des élections du 4 juillet, en les traitant de traîtres à la patrie. Impassible dans son mépris pour la chose publique, il persiste à vouloir faire croire que l’Etat civil, l’Etat de droit, l’Etat démocratique, c’est lui. «Le système est avec le peuple et nous allons nettoyer le pays des voleurs et irons avec lui jusqu’au triomphe de ses demandes». Comme si le peuple lui demandait quelque chose. Alors que ce dernier ne cesse de l’inviter à dégager et d’exiger de lui qu’il lui restitue sa justice, son pays et sa souveraineté qu’il lui a usurpée.
Son obstination à vouloir appliquer l’article 102 de la Constitution en vigueur, malgré le rejet catégorique par la foule des manifestants, lui préférant clairement le «départ du système» dans son intégralité, ses hommes, ses symboles, ses procédures et ses solutions, en a fait l’article le plus célèbre dans le monde entier et dont certains n’hésitent pas à en faire un motif de moquerie, en ont faisant un mot d’esprit, une taquinerie, comme au temps où nous étions gouvernés par un spectre. Le système entend faire la pluie et le beau temps, en dressant de plus en plus ses muscles sur la trajectoire des hommes et des femmes à la nuque raide sorties en masse le défier, incapable de lucidité et de réalisme devant le surgissement pacifique de la vérité en pleine lumière.
Comment faire alors, si le peuple ne veut pas aller voter ce 4 juillet ? Comment légitimer un nouveau locataire à El-Mouradia alors que la soixantaine de candidats à la candidature présidentielle annoncés n’osent même pas se montrer et plaider leur supercherie devant leurs électeurs potentiels supposés ? Comme les ministres, les walis et tout le personnel illégitime qui meublent l’Etat et les institutions, qui ne savent plus quoi faire de leurs prérogatives institutionnelles, car raillées à chacune de leur excursion en dehors des sièges de leurs fonctions. Une situation sans précédent de blocage de l’Etat et des institutions sans recours à une quelconque désobéissance civile. Une seule phrase commise en chœur par une foule de badauds à leurs vues dans l’espace public aurait suffi pour les neutraliser et rendre leur mission impossible : «Vous avez pillé le pays bande de voleurs !».
Bien évidemment que le système n’entend pas de cette oreille l’injonction «dégagiste». Les intérêts et les culpabilités sont tellement importants qu’il faudra résister par tous les moyens, y compris en recourant à cette dernière ruse qui consiste à suggérer un dialogue avec soi-même pour espérer duper et réaliser un passage subtil vers son auto-reconduction.
En effet, qui doit dialoguer avec qui ? Les deux principales parties dans cette situation révolutionnaire ne peuvent être que les représentants du peuple et le pouvoir. Or, ce dernier est considéré comme non qualifié à mener un quelconque dialogue, parce que rejeté par le peuple et donc illégitime. L’armée, à travers son représentant, le chef d’état-major, est, elle aussi, considérée comme non qualifiée à ce dialogue, car cela ne relève pas de ses prérogatives qui ne peuvent se limiter qu’à la sécurisation des procédures politiques que le processus transitionnel aura déterminé. Il y a donc un déficit d’interlocuteur. Bien que ce déficit ait été comblé depuis le début du processus révolutionnaire par l’armée, qui s’est substituée au pouvoir civil mais sans l’avouer, allant jusqu’à affirmer soutenir le peuple dans son adversité avec le pouvoir en l’aidant à atteindre ses objectifs révolutionnaires. Une situation illogique car l’armée ne peut être à la foi partie au dialogue et soutien de son interlocuteur, ce qui revient à dialoguer avec soi-même. Dans ce cas, autant remettre le pouvoir immédiatement au peuple et mettre fin à la crise.
Mais n’est-ce pas là une ruse de plus pour amener l’opposition traditionnelle, elle-même rejetée par le peuple, à un dialogue avec le système pour un partage du pouvoir au détriment des intérêts et de la volonté populaire ? Ce qui aggraverait encore un peu plus la crise et fera perdre un temps important à son dénouement, par ce que le peuple est déterminé à en finir avec le système et aucun personnel politique qui aurait conclu un accord avec l’armée et qu’il n’approuverait pas serait rejeté à son tour et amènerait la situation à son point de départ. Alors que, sans vouloir ruser et préserver le système et en choisissant de soutenir la transition révolutionnaire, comme elle l’affirme, l’armée devrait accompagner la volonté populaire en faisant sienne le choix du peuple. Sachant qu’une solution radicale existe bel et bien et pourrait mettre un terme à cette situation de crise dans l’immédiat. Il aurait été simple que chacune des 48 wilayas désigne son représentant pour constituer un groupe de 48 personnes qui auront la tâche de désigner parmi eux un représentant consensuel pour diriger la transition avec sérénité et efficacité.
Y. B.
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