Les trois actes hostiles de la France envers l’Algérie sous Bouteflika
Par Tarek B. – Si la transition en cours dans l’Algérie de l’après-Bouteflika est porteuse de tous les espoirs au plan interne en matière de réformes politiques substantielles pour répondre aux aspirations légitimes du peuple algérien, le domaine des relations extérieures ne saurait être ignoré dans ce vaste chantier de refondation de notre système politique et de gouvernance en prélude à l’avènement de la deuxième République.
Nourrie de constantes nationales, elles-mêmes déterminées par notre parcours historique, la politique étrangère de l’Algérie est intimement liée aux principes fondateurs de l’Etat national. La fin de règne, peu glorieuse, du président Bouteflika dont la longue période de maladie a diminué l’influence et réduit le rôle la diplomatie algérienne – absences répétées aux différents sommets et réunions de haut niveau, dysfonctionnements dans la conduite de l’action diplomatique – en la figeant, le plus souvent, dans une posture purement réactive aux événements critiques qui s’opéraient dans notre environnement immédiat.
Aujourd’hui, c’est avec une douloureuse amertume que nous devons admettre que notre pays, qui occupe une place centrale au Maghreb et qui dispose de tous les attributs de la puissance, est devenu «ce géant qui a peur de son ombre» pour reprendre une image funeste qui avait fait flores. Il est impératif de nous donner les moyens d’assumer et d’imposer notre statut de puissance régionale et d’Etat pivot dans cet environnement géographique troublé, traversé par des lignes de fracture et de fragmentation et en butte à la persistance de crises qui font planer de lourdes menaces sur la sécurité et la stabilité de notre pays.
Cette situation doit conduire le prochain Président algérien élu à reconsidérer de manière radicale la politique extérieure de la nation. Non pas pour la défaire de ses constantes bien connues – même si certaines questions méritent un réexamen sans complaisance ou nostalgie –, mais pour agir rapidement en vue d’un redéploiement sérieux de la diplomatie algérienne sur la base d’un aggiornamento radical de sa stratégie, de ses axes prioritaire et de son modus operandi.
Un chantier prioritaire doit concerner la redéfinition de la politique française de l’Algérie. Il est un fait qu’Alger et Paris sont condamnés, malgré – ou à cause de – leur lourd legs historique, à un minimum d’entente dicté entre autres par le déterminisme de la géographie, l’économie et la densité de la dimension humaine. Mais il est aussi une réalité que nous devons reconnaître : le président Bouteflika, qui était fasciné par la France, comme il le reconnaît lui-même, a toujours refusé de globaliser cette relation alors même que c’était une condition sine qua non pour déboucher sur un réel partage et équilibre des intérêts entre les deux pays dans ce supposé «partenariat d’exception». Le besoin de ménager la France, voire de lui octroyer des avantages substantiels et exclusifs en termes de contrats notamment, a toujours été rythmé par le calendrier de nos échéances présidentielles et dicté par le besoin existentiel ressenti par Bouteflika de se faire adouber par l’ancienne puissance coloniale.
En laissant de côté les questions économiques et commerciales ou le partenaire français a profité à satiété de largesses inconsidérées de la part du président Bouteflika – qui fera l’objet d’un autre article –, c’est surtout sur la question stratégique de notre périmètre régional de sécurité ou l’agressivité offensive de la France et son agenda régional adverse est la plus marquante et la plus dangereuse. Cette situation de fait exige une redéfinition urgente de notre relation vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale.
Quand bien même la matrice «révolutionnaire» de la diplomatie algérienne et son attachement chatouilleux et ombrageux à la notion de souveraineté nationale ne prédisposait pas les deux pays à partager des positions convergentes sur la plupart des questions régionales, il n’en demeure pas moins que la France, toutes majorités politiques confondues, a toujours cherché, depuis notre accession à l’indépendance, à affaiblir notre pays – qualifié de Prusse du Maghreb – au profit de son protégé marocain qui joue la fonction d’auxiliaire docile dans la mise en œuvre de sa politique néocoloniale dans la région et en Afrique.
A cet égard, trois exemples de l’actualité régionale permettent de saisir à sa juste mesure ce positionnement hostile à nos intérêts de sécurité.
D’abord, en ce qui concerne la question du Sahara Occidental qui vient de faire l’objet d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU prorogeant de six mois le mandat de la Minurso. Cette séquence a été marquée, une nouvelle fois, par le forcing jusqu’au-boutiste de la diplomatie française pour préserver les intérêts de son vassal marocain, en manœuvrant sans succès sur la question de la semestrialité de la mission onusienne – voulue par l’administration américaine pour faire bouger les lignes d’un statu quo intenable et qui ne profite qu’au seul Maroc –, mais en édulcorant à l’extrême les recommandations du secrétaire général de l’ONU sur les questions cruciales du monitoring des droits de l’Homme dans le territoire sahraoui occupé et de la levée des multiples entraves posées par l’administration marocaine au fonctionnement normal de la Minurso, qui se trouve ainsi empêchée de s’acquitter pleinement de son mandat.
Au niveau de l’Union européenne, la France a usé de tout son poids et de son influence, au sein de toutes les institutions – Conseil, Commission et Parlement – pour faire passer en force les nouveaux accords agricoles et de pêche entre le Maroc et l’UE, en violation flagrante des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a statué, en décembre 2016 et en février 2018, sur l’inapplicabilité de ces accords au Sahara Occidental. Le maître d’œuvre de cette complicité agissante, le commissaire Pierre Moscovici, se trouve aujourd’hui même à Rabat, pour faire valoir les éminents services rendus en la matière.
Cette prise de position pro-marocaine n’est évidemment pas l’apanage de l’actuel gouvernement. A gauche comme à droite, le soutien de la France est acquis au Makhzen et il se fonde sur une certaine «raison d’Etat» : empêcher la chute du trône qui serait automatique dans le cas où le monarque marocain viendrait à perdre le Sahara Occidental et, surtout, maintenir un abcès de fixation pour contrer notre pays et peser sur le rapport de force dans la région.
L’alignement de Paris sur les thèses expansionnistes de Rabat n’est donc pas nouveau et il est conforme à ses desseins géopolitiques. La nouveauté, depuis l’arrivée de Bouteflika – et on se demande bien pourquoi –, est que la diplomatie française ne s’embarrasse même plus des marques élémentaires d’attention et de prévenance envers son partenaire algérien qu’elle n’hésite plus à provoquer publiquement sur cette question. Pourtant, c’est bien avec l’Algérie, dont elle impacte négativement les intérêts de sécurité en maintenant cet abcès de fixation, que la France réalise son business le plus lucratif dans la région.
Ensuite, en ce qui concerne la crise libyenne où la France, dont le double-jeu a été démasqué aux yeux de la communauté internationale, est lourdement impliquée aux côtés des Emirats, de l’Egypte et dans une moindre mesure, de l’Arabie Saoudite, dans l’offensive militaire lancée par le maréchal Khalifa Haftar contre Tripoli alors qu’elle prétend hypocritement qu’elle apporte son soutien au gouvernement reconnu par la communauté internationale et aux efforts de l’envoyé spécial de l’ONU, Ghassan Salamé. Bien entendu, les évolutions en cours en Algérie ne sont pas étrangères au timing de ce coup de Jarnac.
En torpillant la solution politique et en faisant le choix de l’escalade militaire qui va nourrir l’instabilité régionale, Paris devra assumer une responsabilité particulière dans les risques sérieux de partition ou fragmentation de la Libye et de l’avènement potentiel d’une guerre civile meurtrière dans ce pays voisin. Cette situation cauchemardesque ne manquera pas, bien entendu, d’avoir des conséquences directes sur notre sécurité nationale.
Enfin, dans l’espace sahélien, la volonté française de marginaliser l’Algérie et de réduire son influence dans la région est évidente. C’est ce souci permanent qui anime toutes les initiatives régionales prises à Paris. La création du G5 Sahel, dont Paris peine à obtenir les ressources financières nécessaires à son opérationnalisation, est la meilleure preuve de cette volonté farouche de nous bouter hors de notre environnement naturel afin d’imposer un «schéma de sécurisation» qui est destiné, avant tout, à pérenniser la présence française pour ses propres intérêts stratégiques, économiques et miniers. L’exacerbation et l’extension spatiale du spectre du terrorisme, malgré – ou justement en raison – de l’intervention militaire étrangère interpelle sur les motivations réelles de cet activisme politico-diplomatico-militaire outrancier de la France dans ce polygone de crises.
Profondément enfoncée dans son prolongement sahélo-saharien, dont elle ne peut être coupée, pour de nombreuses considérations évidentes (historiques, humaines, économiques, sécuritaires, etc.), l’Algérie devra reprendre rapidement son rang et son rôle modérateur et stabilisateur dans cette profondeur stratégique dont les convulsions affectent directement sa sécurité et sa stabilité.
Ces trois illustrations géopolitiques illustrent parfaitement l’attitude globalement hostile de la France à l’égard de notre pays. Il est vrai, cependant, de reconnaître que sous le long règne de Bouteflika, l’Algérie s’est montrée fort accommodante et passive face à toutes ces manœuvres malveillantes dont l’objectif est d’affaiblir l’influence et le rôle régional de notre pays. A ce propos, il ne faut pas oublier les propos inappropriés et les insinuations déplacées d’Emmanuel Macron qui déclarait publiquement, en mai 2017, qu’il avait «une exigence renforcée à l’égard des Etats du Sahel, mais aussi de l’Algérie», en précisant qu’on ne pouvait manifester de faiblesse à l’égard de groupes terroristes «quelles que soient les raisons politiques domestiques». Ce genre de déclarations ne saurait être ignoré par un grand pays comme l’Algérie qui, au terme de sa transition, ressortira plus démocratique, plus forte et plus en phase avec son front intérieur, pour revendiquer pleinement son statut légitime de puissance régionale qui s’assume en tant que telle.
Fort de sa légitimité et du soutien que le peuple lui accordera lors des prochaines élections, le nouveau Président qui a pour prérogative constitutionnelle d’arrêter et de conduire la politique extérieure de la nation, aura certainement à cœur de rééquilibrer cette importante relation algéro-française pour la globaliser – ne pas dissocier les affaires et le business du reste – et l’asseoir durablement sur la base d’un vrai partenariat d’égal à égal, fondé sur un authentique respect mutuel et sur l’équilibre bien compris des intérêts des deux parties.
T. B.
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