Indépendance nationale et libération sociale
Par Kaddour Naïmi – Pendant longtemps, il a semblé que l’indépendance de la nation algérienne était un fait acquis pour toujours. Dès lors, l’intérêt se portait, très légitimement, sur la libération sociale du peuple de la dictature exercée sur lui par une oligarchie autochtone, et cela depuis l’indépendance nationale.
Ce qui porta le peuple à déclarer : «Nous avons été trahi par les dirigeants de l’armée des frontières ; ils sont devenus les colonisateurs intérieurs !» C’était le cas. D’où les problèmes et conflits, parfois sanglants, qui ont toujours existé entre le peuple et l’institution militaire.
Contexte international : flux et reflux
Cependant, la suite des événements a porté à reconsidérer la situation, précisément en ce qui concerne l’indépendance nationale acquise. Ce nouveau point de vue s’explique par le changement du contexte historique. Après la phase mondiale de combats anticoloniaux pour l’indépendance nationale, et anti-impérialistes contre les menaces néocoloniales, dans les années 1950-1960, l’échec lamentable des oligarchies du camp prétendument «socialiste», à la fin des années 1980, a permis aux tendances néocoloniales et impérialistes de reprendre l’offensive.
Leur but devint celui de transformer les oligarchies des nations nouvellement indépendantes en harkis et marionnettes. Comme ces oligarchies étaient menacées par les peuples, victimes de leurs dictatures, les oligarchies néocoloniales et impérialistes fournissaient assistance militaire et autre aux oligarchies autochtones du «Tiers-Monde» pour les maintenir au pouvoir, en échange, évidemment, de concessions en termes de mainmise sur les ressources naturelles du pays et d’installations de bases militaires d’espionnage et autre.
Nous en sommes à cette phase. Ses manifestations les plus éclatantes sont de deux genres : assistance militaire aux oligarchies harkies (du type Arabie Saoudite, Emirats et Qatar), agressions militaires directes contre les oligarchies opposées à la mainmise sur leurs ressources naturelles et sur leur territoire (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, etc.), et téléguidage occulte, sous prétexte de «démocratie», pour changer d’oligarchie autochtone, plus servile (Ukraine, Géorgie, Venezuela, etc.), coup d’Etat de type «juridico-parlementaire» (Brésil).
Algérie
En Algérie, tout en admettant l’existence d’un pouvoir oligarchique dominant le peuple, l’objectivité oblige à reconnaître que cette oligarchie n’est jamais tombée dans le rôle de harkie-marionnette du néocolonialisme, qu’il soit français, états-unien, moyen-oriental, turc ou autre. Les preuves en sont les manœuvres plus ou moins occultes, et les menaces plus ou moins évidentes que les puissances néocoloniales, en premier lieu française, ensuite états-unienne, ont toujours exercé sur l’oligarchie algérienne, notamment par l’intermédiaire de leurs agents autochtones, plus ou moins masqués. N’oublions pas l’action, plus ou moins occulte, du colonialisme sioniste israélien, à travers des citoyens algériens qui manifestent ouvertement leur solidarité avec l’oligarchie sioniste israélienne.
Ces oligarchies néocoloniales et coloniales agissent ainsi parce que l’oligarchie algérienne (plus exactement la composante dominante de celle-ci) résiste depuis l’indépendance, d’une manière ou d’une autre, à concéder une mainmise étrangère significative sur les ressources naturelles (1) de la nation et l’installation de bases militaires étrangères sur le territoire.
Ajoutons que l’oligarchie algérienne fait partie du «front du refus», autrement dit a toujours refusé d’abandonner la lutte du peuple palestinien pour ses droits nationaux, reconnus par l’organisation des Nations unies ; toutes les autres oligarchies qui ont maintenu leur solidarité avec le peuple palestinien ont été punis, par la quadruple coalition néocoloniale française et anglaise, impérialiste états-unienne et colonialiste sioniste israélienne : punition par l’agression militaire (Liban, Irak, Libye, Syrie, Yémen), punition par l’embargo économique (Iran).
Indépendance et liberté
Lors de la résistance vietnamienne à l’agression impérialiste états-unienne, le président Ho Chi Minh lança le slogan : «Rien n’est plus important que l’indépendance et la liberté». Par indépendance, on sait qu’il s’agit de celle de la nation contre toute domination étrangère. Par «liberté», il fallait entendre celle du peuple à se construire de manière autonome le système social conforme à ses intérêts.
Hélas ! Même l’héroïsme exemplaire du peuple vietnamien n’a pas pu empêcher de voir ses sacrifices récupérés par une oligarchie inédite, prétendument représentative du peuple (2). C’est que les peuples, conditionnés par des idéologies autoritaires hiérarchiques, masquées de «révolutionnaires» et de «populaires», – où la soi-disant «élite» intellectuelle est responsable dans sa grande majorité –, les peuples peinent à prendre conscience qu’ils ne peuvent se sauver que par eux-mêmes, autrement dit par l’institution autonome d’organismes de gestion de leur société, basées sur le triptyque liberté-égalité-solidarité (3).
Cependant, le problème de l’existence d’oligarchies autochtones est à distinguer absolument du problème de l’indépendance nationale. Autrement dit, critiquer et faire «dégager» les représentants d’une oligarchie, pour édifier une société libre, égalitaire et solidaire, ne doit pas faire oublier que les ennemis du peuple et de sa nation sont à l’affût pour transformer cette phase de rupture sociale populaire émancipatrice en occasion pour intervenir, à travers leurs harkis locaux (organisations et individus), déguisés en «démocrates», pour reprendre le contrôle du pays, en y installant une nouvelle oligarchie harkie à son service. C’est dire que le combat social doit aller de pair avec le combat patriotique pour l’indépendance de la nation (4). C’est là une entreprise stratégique fondamentale. Le perdre de vue serait fatal : voir, par exemple, le cas de l’Egypte où, après le soulèvement populaire du soi-disant «printemps arabe», l’oligarchie locale se trouve sous l’influence directe des oligarchies tant états-unienne que sioniste israélienne.
D’où l’importance vitale d’établir, de maintenir et de développer au maximum la solidarité entre le peuple et l’institution armée dont le but est de défendre l’intégrité et l’indépendance nationales. Que dans l’armée existent des éléments contraires aux intérêts de la patrie et du peuple ne doit absolument pas porter à dénigrer ou négliger l’importance de l’armée, en tant qu’institution, comme moyen de défense patriotique militaire.
Comme disait Mao Tsé Toung, les contradictions au sein du peuple et les contradictions entre le peuple et les institutions qui le gèrent sont à régler absolument par le peuple seul, et dans son unique intérêt légitime (5). Toute ingérence étrangère, ouverte ou à par l’intermédiaire de ses harkis locaux, toute ingérence prétendument «humanitaire», toute ingérence déclarant «contribuer» à l’établissement de la «démocratie» sont à neutraliser absolument, car elles sont, – et toutes les expériences le démontrent ! –, contraires au peuple et à sa nation ; elles ne visent qu’à l’instauration d’un nouveau système néocolonial.
La perte de la solidarité entre un peuple et son armée, quel que soit le pays, c’est la double perte de l’indépendance de la nation et de la souveraineté du peuple. Encore une fois, toutes les expériences, sans exception, l’enseignent. Or, ces deux impératifs sont indéfectiblement liés entre eux. Une des preuves que des manifestants en Algérie l’ont compris, ce sont des photos qu’ils brandissent : celles de Larbi Ben M’hidi, de Mustapha Ben Boulaïd, de Zirout Youcef et autres combattants de la Guerre de libération nationale, sans oublier la présence physique parmi les manifestants de survivants du noble combat patriotique telle notre sœur Djamila Bouhired.
- N.
(1) Pour se limiter à un seul exemple, rappelons-nous la règle 49/51 permettant à l’Etat algérien de maintenir le contrôle sur les joint-ventures étrangères, et les tentatives récentes de certains individus, membres ou ex-membres de l’oligarchie algérienne, d’éliminer cette règle fondamentale d’indépendance nationale.
(2) Le doublement vainqueur de l’armée coloniale française et de l’armada militaire états-unienne, le général Nguyen Giap, dénonça, dans ses vieux jours, cette trahison oligarchique de l’idéal social populaire.
(3) Voir «Trois oui, trois non et deux conditions pour le mouvement populaire» in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/03/trois-oui-trois-non-et-deux-conditions-pour-le-mouvement-populaire.html
(4) Voir article «Nationalisme et patriotisme» in http://kadour-naimi.over-blog.com/2018/08/nationalisme-et-patriotisme.html
(5) Et cela par l’institution par le peuple lui-même d’organisations libres, égalitaires et solidaires, représentant de manière authentique le pouvoir du peuple, autrement dit la véritable démocratie de type populaire. Voir article «Auto-organisation ou l’échec» in http://kadour-naimi.over-blog.com/2019/04/auto-organisation-ou-l-echec.html
Ndlr : Les opinions exprimées dans cette tribune ouverte aux lecteurs visent à susciter un débat. Elles n’engagent que l’auteur et ne correspondent pas nécessairement à la ligne éditoriale d’Algeriepatriotique.
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